vendredi 22 juin 2012

La chapelle Orémus et la nouvelle place communale


Ce samedi 23 juin il y a sur la nouvelle place communale un après-midi populaire, musicale et commerciale, la Fête de la musique. C’est presqu’une pré-inauguration. L’occasion de se pencher sur le bâtiment le plus en vue de cette nouvelle place: la chapelle Orémus. La mise en valeur de la chapelle sur la butte située à l’arrière de l’hôtel de ville est quelque part le pivot du réaménagement de la place. Elle va ainsi retrouver la situation dégagée - tout autour il y avait un cimetière - qu’elle avait jusqu’en 1754, lors de la réfection de la route Liège – Maestricht, qui suit depuis l’artère principale de Herstal.
Triptyque du Martyre de saint Érasme - Thierry Bouts. 
Etrange mise en valeur d’un bâtiment qui n’est finalement qu’une chapelle votive dédié à Saint Orémus. Un saint qu’on neretrouve même pas dans le Grand Livre des saints. Ce n’est qu’à Herstal qu’on désigne Saint Erasme sous le nom de Saint Orémus, vraisemblablement suite à la non-compréhension de ce mot latin signifiant ‘prions’ (L'almanach de notre terroir Par René Henry p.163). En réalité, il y avait un oratoire dédié à Saint Orémus attenant à la maison de la Thour en Hayeneux. Les mères venaient y prier pour les coliques des enfants. Lors de la suppression de cet oratoire le bourgmestre Lénard Masset tranféra un retable, représentant le supplice de Saint Erasme, fut transféré de Hayeneux à l’église de la Licourt. Pour ne pas faire des jaloux, le bourgmestre commanda au sculpteur Harzé une statue en terre cuite pour la chapelle de Saint Lambert et fit placer en lettre d’or le mot latin OREMUS, c'est-à-dire prions, au-dessus de la porte d’entrée. Mais le curé de l’époque, Joseph Bertrand, fit quand même placer des statues de Saint Lambert et de Saint Hubert dans la chapelle. Tout compte fait, Saint Erasme n’est qu’un des quatorze saints auxiliaires, invoqués pour leur pouvoirs guérisseurs. Pour ne pas parler carrément de superstition…  Toujours est-il que depuis 1860 les mères venaient prier pour les coliques des enfants. A condition de ne pas raconter à leurs enfants le martyre cruel de SaintErasme: ça pourrait leur donner des coliques ! D'après la légende, son estomac fut ouvert en deux et ses intestins enroulés autour d'un cabestan. Triptyque du Martyre de saint Érasme - Thierry Bouts. Elles y abandonnaient aussi en guise d’ex-voto leurs bandes hygiéniques et des bandes de boteroule de leurs enfants.
Donc, pour tout ce qui est intestinal, ne prenez plus de l’immodium: priez Saint Orémus.
Si notre maire nous donne des coliques, de l’indigestion, des crampes, de la chiasse, de la diarrhée, des reflux œsophagien, des nausées et des vomissements, des haut-le-coeur etc… adressons-nous à Saint Orémus.
Aujourd’hui il faudra le faire en latin : la chapelle est occupée par la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre qui pratique le rite romain. Ne confondez pas Saint-Pierre avec Saint-Pie ! La Fraternité Saint-Pie X de Mgr Lefebvre a claqué la porte de l’Eglise en 1988. Notre fraternité Saint-Pierre a le soutien entier de Mgr André-Joseph Léonard et du cardinal Joseph Ratzinger. Elle a été fondée en 1988 par le PapeJean-Paul II en personne « afin de répondre généreusement aux aspirations légitimes des Catholiques attachées au rite romain ».
C’est presqu’un miracle que la chapelle est toujours là : en 1791 le régime français réquisitionne les deux cloches. Le curé G-N Berho de la Licourt s’étant enfui, son marguiller A. Deherve sauve le sanctuaire de la fermeture en se soumettant à la loi française.
Lors des restaurations de 1929 on exhuma une pierre tombale de 1429 : la sépulture la plus prestigieuse est sans doute celle de Wathieu de Fléron bourgmestre de la Cité de Liège en 1407 et probablement empoisonné suite au bannissement de Wathieu DATIN.
Un demi siècle plus tard elle fut rendue officiellement mais très provisoirement au culte en 1839, en attendant que la nouvelle paroisse Saint Lambert ait construit son église. Le conseil de la fabrique de cette nouvelle paroisse, dont l’église fut consacrée en 1844, se dispute encore avec le bourgmestre Jean-Lambert Sauveur sur la propriété du cimetière désaffecté depuis l’ouverture du cimetière de Foxhalle en 1846. Elle devra attendre le bourgmestre Nicolas Laloux pour trouver un arrangement. Celui-ci était pressé parce qu’il construit en 1848 une nouvelle maison communale – qui logeait aussi l’école du centre - sur une partie du cimetière. En 1851 il paye encore 100 francs pour 1 are 7 centiares pour agrandir le jardin potager de l’instituteur communal.
Elle connaît une deuxième renaissance au début du XX° siècle. En 1910 le curé de Saint Lambert arrive à faire classer l’oratoire dans la 3° catégorie par la Commission Royale des Monuments. En 1910 G-Fernand Lohest dresse un plan de restauration, refusé par le bourgmestre. Un chanoine et le curé arrivent à relancer le projet en 1927. On restaure le bâtiment selon le plan de Lohest qui rétablit même les trois nefs qui avaient été réduites à une seule en 1758. En fait il n’y a que le chevet plat du chœur, très bas, qui est d’origine. Les jours néo-romans de la nef, en plein cintre, sont contemporains de la dernière restauration. En 1929 la paroisse Saint Lambert demande pour la chapelle la dignité de chapellenie.  Pour ceux qui ont des doutes sur la dignité d'une chapelle, sachez qu'en 1950 un érudit, Jean Quéguiner, a soutenu une  thèse d’Ecole des Chartes sur « les chapellenies au Moyen-Age »!
Nouveau miracle lorsque  dans les années 1950 un vénérable prêtre âgé, l’abbé Jean Longo (1911-2006) prend en charge la restauration du bâtiment et sauva la chapelle. Il dit la messe en latin, ce qui attire une partie de l’émigration italienne qui retrouve ainsi les sons de son pays natal. Une personnalité attachante : quand on lui demande le prix d’un enterrement, il répond : « je ne vais quand même pas ajouter une seconde peine à votre peine déjà grande ». Le bâtiment sera classé définitivement le 30 avril 1964.
Nouvelle crise quand vers 2008  il est empêché par son état de santé de dire la Messe. C’est la Fraternité Saint-Pierre qui sauve la mise.

Dédicacée à Saint Orémus ou aux Saints Lambert et Hubert ? 

La chapelle avait déjà fait fonction d’église paroissiale. Ce qui nous pose d’ailleurs un petit problème : la chapelle est-elle dédicacée à Saint Orémus ou aux Saints Lambert et Hubert ? Notre bourgmestre Lénard Masset a quand même brouillé un peu les pistes en plaçant cette statue de Saint Orémus lors de la suppression de l’oratoire de Hayeneux. Ceci dit, nous comptons fermement sur notre Fraternité sacerdotale Saint-Pierre pour éclarcir cette question de droit canon importante. 
Selon le Canon 1218, chaque église aura son titre qui après la dédicace ne pourra plus être changé. Le Canon 1206 précise que la dédicace d’un lieu revient à l’Évêque diocésain
Can. 1208 – De cette dédicace ou bénédiction d’une église, et aussi de la bénédiction d’un cimetière, on rédigera un acte dont un exemplaire sera conservé à la Curie diocésaine et un autre dans les archives de l’église. Can. 1212 – Les lieux sacrés perdent leur dédicace ou leur bénédiction si la plus grande partie en est détruite, ou s’ils sont réduits à des usages profanes de façon permanente, soit par décret de l’Ordinaire compétent, soit de fait.
Nous avons un rapport de visite archi-diaconale  de 1699 qui parle «d’une chapelle sous l’invocation de Saint Lambert ».  Pour le double patronage nous devrons être moins catégorique : un autre rapport de 1754 nous apprend seulement qu’ « un prêtre y dit la messe les jours de Saint Lambert et Saint-Hubert ». Cela datait de l’époque où la chapelle faisait office d’église paroissiale, après un incendie en 1738 de l’église Notre Dame de la Licour qui n’avait laissé que le chœur et le transept au point où l’évêque a dû y mettre l’interdit en 1754. Le culte fut alors célébré dans la chapelle jusqu’à la reconstruction de l’église en 1759. Un rapport de visite archi-diaconale de 1754 nous apprend qu’ « un prêtre y dit la messe tous les jours et les jours de Saint Lambert et Saint-Hubert et le lundi de Pâques on y célèbre des messes spéciales. On continue à y célébrer des execques (enterrement) ».
A cette occasion la chapelle est restaurée sommairement. La présence d’une pierre tombale sur l’un des cotés en témoigne. Un siècle et demi plus tard, en 1699,  on apprend dans un autre rapport de visite que «sous cette paroisse de Notre Dame se trouve la chapelle sous l’invocation de Saint Lambert où le curé célèbre parfois les obsèques des paroissiens et où il y a un cimetière. »
La chapelle est devenu en quelques sorte une chapelle funéraire, certes d’un certain prestige. Des notables sont même prêts à payer une taxe pour se faire inhumer dans la chapelle même.
La famille Lovinfosse notamment y est bien représentée. La famille de Lovinfosse est issue de la descendance d'un certain Michel Goblet d'Odeur, écuyer originaire de la région de Givet, qui épousa en 1500 la fille du Bourgmestre de Liège qui apporta en dot la terre de Lovinfosse située à Ougrée et la maison de la Tour en Hayeneux à Herstal. Les armoiries figurent encore sur un vitrail de la maison dite "de Lovinfosse" à Herstal ainsi que sur l'autel latéral de l'Eglise Notre Dame de la Licourt.
1719 Catharine Lovinfosse
1720 Gertrud Lambrecht, ép Melchior Lovinfosse
1735 Melchior Lovinfosse
1750 Joannes, fils de Libert Lovinfosse
1759 Joannes Lovinfosse, veuf de M. Gesin
1761 Barbe Corbeaux, épouse de Liber Lovinfosse
1772 Liber Lovinfosse
Avec cette invocation de Saint Lambert on ne rentre pas seulement dans un problème de droit canonial : Saint Orémus ou Saint Lambert. Nous rentrons aussi dans les âges obscurs du Moyen âge. Au onzième siècle, le chanoine Anselme a imputé le meurtre de saint Lambert à Pépin. Des amis du pontife avaient mis à mort deux individus qui avaient des liens de famille avec Dodon, le puissant domesticus de Pépin, préposé à l'administration du fisc et des domaines royaux. Dodon jura de venger ses proches. Un matin, avec une troupe de gens armés, il surprit le pontife dans la villa de Liège. C'était le 17 septembre de l'année 705.
Le corps de Lambert est transporté en bateau de Liège à Maastricht. Mais la dévotion populaire se portait de préférence du côté de Liège, où s'opéraient les principaux miracles. La cérémonie de la translation se fait en 718. À Nivelle-sur-Meuse et à Herstal, où s'arrêta le cortège, se produisirent des miracles. La foule reconnaissante s'empressa d'y élever des "basiliques". Pour recevoir dignement les reliques du martyr, on avait construit dans l'église Saint-Lambert un mausolée "admirablement orné par le travail des artistes, par l'abondance de l'or, de l'argent, des pierres précieuses et des joyaux de toute espèce, apportés alors et dans la suite par les riches et les puissants du jour" (DE MOREAU, É., s.j., Histoire de l'Église en Belgique des origines aux débuts du XIIème siècle, t. I,  Bruxelles, L'Édition Universelle S.A., 1940, p. 91-104). Nous voilà partis d'une chapelle dédié à un Saint qui n'existe plus, et nous nous trouvons devant une basilique! Excusez du peu! Vouc comprenez maintenant la mise en valeur de cette chapelle dans l'aménagement de la nouvelle place!
Pour les détails sur cette histoire digne d’un  polar il faudra attendre mon prochain blog. Herstal ne devrait pas se braquer sur Charlemagne (certains envisagent des fêtes en 2014). Il y a d’ailleurs trop d’autres villes qui le réclament aussi ! Mettons en avant Pépin de Herstal : avec un nom comme ça personne ne saurait nous le contester. Et vous verrez : ça fait des belles histoires ; trop cruelles peut être pour raconter aux enfants, mais passionnantes. 

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