jeudi 1 août 2013

Le Jardin des Traces et le haut-fourneau U4 d’Uckange.

Le long de la Véloroute de la Moselle, le Jardin des Traces, aménagé sur le site du haut-fourneau U4 d’Uckange, visite un peu obligatoire pour l’ancien sidérurgiste que je suis.
 Implanté en 2010 sur le site de l’ancienne usine d’agglomération, le jardin s’ouvre en trois ensembles: le jardin de l’alchimie où quatre grands cylindres représentent chacun des éléments fondamentaux qui participent à l’élaboration de la fonte. Entre  la coulée fleurie aux couleurs de la fonte en fusion et la légèreté des graminées symbolisant les gaz chauds du haut-fourneau, le visiteur déambule sur un chemin en béton qui le conduit aux fontaines et jets d'eau. Les sculptures de Pierre LUU ont été créées
spécialement pour ce site.   Le jardin des sidérurgistes rend directement hommage aux hommes venus travailler dans la sidérurgie lorraine à travers cinq bacs géants rappelant les paysages de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal de la Pologne et du Maghreb. Le jardin des énergies évoque le solaire, les éoliennes et l’hydraulique. Solaire= tournesols, éolienne = des petits moulins à vent d’enfants et hydraulique = petites fontaines orientales en bambou : l’évocation ne va pas chercher loin. Mais c’est joli.
Dans le fond, l’U4, inscrit ‘monument historique’ en 2001 comme seul témoignage de la sidérurgie du début du XXe  siècle conservé en France. Mais pour le visiter il faut sortir du jardin. On passe dans un chapiteau provisoire pour une exposition historique et technique, reflétant la réalité de l'ancienne usine. Pourquoi un chapiteau alors qu’on a rasé tant de bâtiments et qu’il y a à côté les grands bureaux sauvegardés qui ne fourmillent pas d’activité ? Sous la canicule, le chapiteau est un four. Et puis on peut faire un tour du fourneau. Des visites guidées sont assurées – à la demande - par d’anciens sidérurgistes. En attendant que cette race s’éteint -vingt deux ans déjà depuis l’extinction du haut-fourneau - et qu’on peut démonter le chapiteau?
Et puis, on ne sent pas le lien avec les quartiers autour, comme on a si bien réussi au Louvre Lens dans son écrin de corons. Pourtant, la représentation spatiale de la ville est typé aussi : « le village » au centre, les cités  ouvrières autour, « les lotissements », de construction récente, et le « quartier Ouest » ou « les Barres ». Des 11560 habitants à son apogée, en 1975, il en restait 6906 en 2010 !
La Communauté d’agglomération du Val de Fensch a engagé en 2011, une réflexion stratégique afin de valoriser le Parc du haut-fourneau U4  à l'horizon 2030. « Le schéma d'aménagement urbain EVOL'U4 veut en faire un véritable lieu de vie et de création. Le projet s’inscrit dans un espace paysager dont les différents pôles seront reliés par un origami béton, espace urbain de rencontre. EVOL'U4 a été établi sur la base de plusieurs thématiques comme l'habitat, le développement économique (tertiaire, touristique et créatif), la culture, le patrimoine industriel, les sciences et l'art des jardins ». Cet origami béton, espace urbain de rencontre, ne m’inspire rien de bon…
La sauvegarde de ce haut-fourneau est à l’image de la lutte contre sa fermeture. On a dû s’y reprendre à deux fois pour l’inscription à l’Inventaire des monuments historiques (1995 et 2000). En 1995 Usinor avait réussi à casser l’inscription et en a profité pour raser tout ce qui n’était pas repris sur la liste à protéger. Entre le classement en 2000 encore cinq ans se passent avant que la Communauté d’Agglomération du Val de Fensch devient propriétaire du site.
Uneétude de l’université de Metz parle d’un long  et chaotique processus de mise en patrimoine. Chaotique parce que la conversion monumentale du haut fourneau d’Uckange a toujours été controversée : non seulement le haut fourneau - en tant que machine, mais aussi le choix de ce site au regard d’autres sites. Localement la « controverse » s’est déployée sur les coûts d’investissement et de fonctionnement. La longue liste de thématiques d’EVOL’U4 est significative aussi de l’absence d’unité sur ce projet.
En 2007, au moment où tous les nez sont dans la  même direction, nouveau couac : la présence de la conduite de gaz qui alimente la centrale de RICHEMONT avec le gaz de hauts-fourneaux de HAYANGE (SOLLAC).  Il faut attendre la fermeture de SOLLAC HAYANGE en 2010 pour que le gazoduc cesse d'être exploité et qu’on peut recevoir du public au HF4 ! Comble de malchance : avec cette fermeture de Hayange, le débat sur choix d’Uckange par rapport à d’autres sites est relancé: Hayange est le cœur historique de la sidérurgie lorraine.
Le projet de l’association MECILOR, Mémoire Culturelle et Industrielle Lorraine, a donc à plusieurs reprises tenu à un fil, et le résultat montre les tensions entre les différentes instances qui sont intervenues, parfois sans trop se concerter entre eux.
Les anciens cadres et salariés de l'usine, des responsables syndicaux, des historiens et des travailleurs sociaux de la région avaient pourtant analysé toutes les possibilités: un totem comme à Neunkirchen en
Sarre. Un haut fourneau dépouillé de tous ses attributs trône dans la ville. Deuxième possibilité: les hauts fourneaux subsistent tels quels, dans un parc public ouvert à tous vents, en accès libre sans souci particulier d'explication au public. C'est le cas à Duisburg Meiderich dans la Ruhr. Troisième éventualité : une usine entière est conservée en l'état, mise sous cocon, dont les hauts fourneaux, avec accès contrôlé et visites commentées, lieu d'exposition.culturelle. L'usine de Völklingen en Sarre est ainsi classée au patrimoine mondial... Enfin, quatrième éventualité ; bâtir autour d'un haut fourneau à l'arrêt une ville nouvelle, avec habitat, université, commerces, banques, industrie,... C'est le cas d’ Esch Belval au Luxembourg. A Uckange Mecilor ‘choisit’ pour un lieu de mémoire ouvrière et sociale. Ce débat peut inspirer les liégeois où tôt ou tard il faudra discuter ce qu’on gardera comme témoignage de notre sidérurgie pour les générations futures…
MECILOR rêve même de donner accès à l’intérieur de la structure du HF. Mais le projet bat de l’aile et est sauvé de justesse en 2007 par Claude Lévêque, artiste de renommée internationale,  qui créé une mise en lumière « Tous les soleils ».
Mais tout compte fait, le parc du haut-fourneau d’Uckange vaut le détour, avec toutes les imperfections que le projet peut respirer. Surtout si on le compare avec le sort de l'ancienne usine UCPMI d'HAGONDANGE, qui a été rasée pour WALIBI-SCHTROUMPF. Quant au haut-fourneau couché de Senelle, il sert de trou sur un golf…
Uckange a sûrement sa place dans le réseau transfrontalier de sites dédiés à l’aventure industrielle: Weltkulturerbe Völklingen, Landschaftspark Duisburg, Esch-Belval, le Carreau Wendel à Petite-Rosselle (musée La Mine) et l’Ecomusée des mines de fer de Lorraine à Aumetz et Neufchef. 

L’ historique et les frontières mouvantes de la sidérurgie lorraine

Si on peut appeler Hayange à juste titre le cœur historique de la sidérurgie lorraine - en 1704, Jean-Martin Wendel acquiert les forges d’Hayange -  Uckange a d’autres atouts historiques à faire valoir. Cette usine s’inscrit à plein dans les frontières mouvantes dans cette région stratégique, à une certaine époque. En 1871, après la guerre franco-prussienne de 1870, l’Allemagne annexe l’Alsace et la Moselle. À partir de novembre 1918 la région est ré-annexée par la France. Après la défaite des armées françaises en 1940 l'État nazi remet la main sur l'Alsace et la Moselle. La victoire des Alliés en 1945 mit fin à cette dernière annexion.
L’histoire des hauts-fourneauxd’Uckange commence lors de la première annexion.
En 1890, les frères Stumm, qui possèdent déjà des usines en Sarre, fondent l’usine à fonte d’Uckange avec 4 hauts-fourneaux. Cela apparaît comme une volonté pour les entreprises allemandes de se développer dans le nouvel espace « conquis ». Avec d’autres usines allemandes, elles concurrencent directement les grands groupes lorrains tels « Les petits-fils de François de Wendel  et Cie » établis à Hayange.  La fonte était
vendue sous la forme de « gueuses », mais aussi sous forme liquide à des aciéries où elle était affinée.

Suite au traité de Versailles qui met fin à la guerre de 14-18, l’usine se retrouve entre les mains d’un groupe français, la « Société des Forges et Aciéries du Nord et de la Lorraine ».  Uckange reste centré sur la production de fonte. Durant la seconde guerre mondiale, l'usine repasse sous le joug des Stumm. L’année après la crise de 1975,  le HF4 est encore réfectionné, mais l'outil reste en sommeil. En 1986 Uckange rejoint la filiale LORFONTE d’Usinor -SACILOR qui rallume en  1988 le haut fourneau U4. La joie est de courte durée : en 1991, le site d’Uckange est définitivement arrêté. Pendant six mois, Uckange vit au rythme des manifestations au cri de « L’emploi au cœur ! ». Bernard Lavilliers donne un concert de soutien dans l’usine en octobre 1991. En octobre 2012 il rend visite aux sidérurgistes de Florange menacés par Mittal. Dans le domaine immatériel, Lavilliers est aussi un monument !

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