jeudi 26 décembre 2013

Le logement social : des Aumôniers du Travail aux cités jardins (1858 – 1926)

19° siècle : l’expropriation des quartiers taudifiés et l’expulsion de leurs habitants

Au 19° siècle, la législation pour l’amélioration de l’habitat ouvrier suit très exactement le rythme d’apparition des épidémies de choléra.
En 1858 le gouvernement belge vote la loi sur l’expropriation des quartiers insalubres. Les communes reçoivent ainsi la possibilité d’exproprier des quartiers taudifiés. Des milliers de maisons ouvrières et des dizaines d’impasses et de rues disparaissent, mais aucune alternative n’est proposée aux travailleurs et aux habitants expulsés. Les habitants déménagent vers d’autres quartiers insalubres. Ce qui permet de tracer les grands boulevards. A Paris, c’est Hausman. A Liège, c’est Blonden. Nous verrons que cette politique d’expulsion est une constante dans la politique d’assainissement capitaliste.
D’autres initiatives voient le jouir, mais elles sont plutôt atypiques. En 1895, les Aumôniers du Travail créent à Seraing une hôtellerie ouvrière destinée aux travailleurs des campagnes. Pour l'évêque de Liège, «providentielle est leur mission comme celle des autres ordres qui ont fait tant de bien à l'Église ! Leur but est de combattre le socialisme pied à pied ». Mais apparament l’habitat n’est pas le bon angle d’attaque pour contrer les socialistes: en  1907 les aumôniers transforment

leur maison ouvrière de Seraing en institution d'enseignement industriel de jour.
C’est dans ce contexte aussi qu’est organisé un concours d’habitations ouvrières, dans le cadre de l’Exposition universelle de 1905. Les projets retenus sont construits aux abords du parc de Cointe, boulevard Montefiore à Liège. Une vingtaine de petites maisons modèles s’offrent à la vue des visiteurs. A ce concours, s’en joint un autre, pour la décoration intérieure et l’ameublement de ces habitations. Gustave Serrurier-Bovy réalise le décor de la maison construite par la CGER. Notre architecte art-nouveau propose même le mobilier ! Les meubles à monter soi même Silex: c’est Ikea avant la lettre. Bien essayé, mais pas terrible, si vous me le demandez. Par contre, le leader socialiste Jules Destrée est plein d’admiration devant "l’impression de fraîcheur, de santé, de joie et d’énergie" qui se dégage de l’intérieur ouvrier conçu par l’artiste.
Mais finalement ces initiatives sont assez folkloriques. La ligne générale est le laissez faire. Et de toute manière c’est plutôt la petite bourgeoisie qui profite de ces mesurettes.

La loi de 1889 sur le logement social

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Suite aux grèves de 1886 le roi Léopold II se prononcer dans un discours du trône pour "la construction d’habitations ouvrières convenables". Promulguée sous un gouvernement catholique, la loi de sur le logement social du 9 août 1889 permet à la Caisse Générale d’Epargne et de Retraite (CGER) d’accorder des prêts à taux réduit pour la construction ou l’achat de maisons ouvrières pour les travailleurs et les sociétés. Ironie de l’histoire, un siècle plus tard, en 1998, c’est un socialiste, Elio Di Rupo, Vice-Premier Ministre, qui privatise cette CGER, pour la refiler à Fortis.
La loi facilitait donc l’accès à la propriété aux ouvriers. De 1890 à 1914 on construit en Belgique plus de 60.000 de ces habitations.
Mais la source – la fuite des campagnes vers la ville – ne se tarit pas : en 1800, Seraing comptait 2.000 habitants, en 1900, on en dénombrait 40.000! La crise du logement est toujours bien là !

A la sortie de la première guerre mondiale, la crise du logement au carré.

A la sortie de la première guerre mondiale, nous retrouverons donc la crise du logement au carré. La guerre n’a rien arrangé: 200.000 maisons sont détruites lors des hostilités.
Les révoltes et révolutions qui suivent la fin des hostilités font trembler la bourgeoisie. Elle concède le suffrage universel, et fait semblant de s’attaquer à la crise du logement…

D’abord, on pare au plus pressé : des milliers de logements préfabriqués  sont construits par le Fonds Albert. Il y a des abus: ces baraques sont facturées 14.000 francs alors que le prix moyen d’une habitation sociale en dur est de 20.000 FB.
En 1930, 15146 ‘baraques’ existent toujoursdont 2378 au Hainaut et 3242 dans la province de Liège (histoire de la wallonie p282) A Liège, certaines de ces baraques sont toujours habitées…

La Société Nationale des Habitations à Bon Marché

En 1919 on crée la Société Nationale des Habitations et Logements à Bon Marché (S.N.H.L.B.M.). Sa mission est de favoriser la création de sociétés locales de logements et de leur faire des avances de fonds pour construction d’habitations à bon marché.
Le premier président de cette Société est le socialiste Emile Vinck. Celui-ci préside l’Union des Villes qui organise en 1920 une conférence nationale des habitations à bon marché. Il y a à cette époque une expérience très intéressante à Vienne. Mais cela n’inspire pas Emile Vinck

Le Karl Marx Hof et ‘Rotes Wien’

Après la déroute de l’empire autrichien, 73% de la population de Vienne habite dans des logements exigus et surpeuplés. Le parti social démocrate arrive au pouvoir dans la capitale. Entre 1922 et 1934, "Vienne rouge (Rotes Wien)" érige 60.000 nouveaux logements. Le Karl Marx Hof existe toujours et vient récemment d’être restauré. Ces "Superblöcke", logeaient jusqu’à 5.000 personnes. Ils étaient construits comme "Hof", autour d’une cour.
Les travailleurs autrichiens ont fait payer ce programme de construction d’habitat social très ambitieux par une taxe contre la spéculation. L’architecte El Lissitzky y fait ses premières expériences. En 1930, Lissitzky se rend à Moscou pour aider à la réalisation du premier plan quinquennal de Staline, avec la construction d’une ville industrielle entière, Magnitogorsk. Mais le POB de 1918 est coupé de cette évolution intéressante. Émile Vandervelde, président du Parti Ouvrier Belge, met un embargo sur les contacts avec les socialistes allemands qui s’étaient trouvés du mauvais côté dans ce qu’il a appelé «une guerre sainte pour le droit, la liberté et la civilisation, pour le droit des peuples à l'autodétermination ».

Cités, quartiers ou faubourg- jardins ?

Unwin
Ce qui se passe point de vue habitat à Vienne n’est donc pas une référence pour le POB. Emile Vinck s’inspire de ce qu’il a vu en Angleterre pendant la guerre. Sa bible est un livre de R. Unwin, ‘Town Planning in practice’. Vinck est un des promoteurs du congrès d’Amsterdam de l’International Federation pour Town and Country planning and Garden Cities en 1924.
Les socialistes belges interpréteront les théories d’Unwin d’une manière très pragmatique. En Belgique on ne construira pas de cités satellites comme en Angleterre, mais des cités - jardins.
Le POB dénonce la spéculation qui fait grimper le prix des terrains dans les villes, mais il capitule quand il faut passer aux actes. Son alternative, c’est d’implanter des cités jardins dans la périphérie, là où les terrains ne sont pas trop chers. Le développement des transports publics facilite cette stratégie. Pour
le trolley 24 accidenté
Raphaël Verwilghen (directeur de l'office des régions dévastées), une heure de navette est le maximum acceptable. Ceci dit, à Liège, la plupart de ces cités se trouvent au dessus de la vallée, et les habitants doivent descendre les coteaux pour avoir accès à ces transports publics. La cité du Tribouillet par exemple ne verra apparaître les bus en 1930, avec la création de la ligne 24 Sainte Foy-Thier à Liège.
Les transports publics permettent donc une séparation du lieu de résidence du lieu de travail, contrairement à ce qui se faisait au XIXe siècle où les impasses et les corons avoisinaient les ateliers et les fabriques, et où les cités patronales jouxtaient les usines. La création des cités jardins est une rupture entre la ville et l’habitat ouvrier.

Les coopératives de locataires

Magasin n°169 de l’Union Coopérative Herstal,Coll. ILHS.
Les sociaux-démocrates belges basent leur projet sur les coopératives delocataires. Les ouvriers s’associent pour acheter des parts de coopérative. Cette coopérative construit des maisons qu’elle loue à ses coopérateurs (LE MOUVEMENT SYNDICAL BELGE ORGANE OFFICIEL DELA CONFEDERATION  GÉNÉRALE DU TRAVAIL DEBELGIQUE 20 mai 1939 Coopératives de locataires).
Vingt ans plus tard, LA CONFEDERATION  GÉNÉRALE DU TRAVAIL en donne la version suivante : « Les anciens combattants socialistes recherchèrent, dès 1919, le moyen de grouper parmi eux les personnes recherchant un logement modeste mais bien conçu et désireuses de contribuer à l'édification des habitations par une souscription  en rapport avec leurs possibilités. Ils trouvèrent un appui auprès du sénateur Vinck. L'idée de la ‘coopérative» des locataires’ obtint une vive faveur. Des statuts types furent approuvés par la Société Nationale. La part de chaque coopérateur est fixée au début à 3.000
Coopérative Maison du Peuple Bxl,
1932, Coll. ILHS.
francs. Chacune de ces parts est libérée, d'abord à concurrence de 10%, puis de 20%. Le succès fut tel que le ministre du Travail de l'époque s'effraya. Il ne pouvait admettre que les bénéficiaires d'avances de fonds faites par les pouvoirs publics gèrent eux-mêmes l'œuvre conçue et créée grâce à ces fonds. Et dès 1922, l'agréation fut refusée à toute nouvelle coopérative de locataires.
La coopérative sera propriétaire de l'ensemble des logements. Le coopérateur-locataire ne disposera donc pas de la propriété individuelle de son logement. Il en sera copropriétaire en même temps que les autres coopérateurs. « Le coopérateur-locataire se rendra compte de ce que, peu à peu, il deviendra copropriétaire de l'ensemble des logements, ce qui ne pourra qu'améliorer sa situation de locataire ».
Très vite nous assistons à un recul : dès 1922, toute nouvelle agréation de coopérative est refusé. On revient à l’encouragement de l’accès à la propriété : en 1921 déjà on autorise de vente des maisons via des prêts bon marché (2,75%) à rembourser sur un long terme (66 ans)". Selon certaines sourcesentre 1920 et 1939, 22 % des 61.780 logements construits sont vendus. D’autres parlent de la vente de la moitié du parc locatif entre 1922-27 (De l’utopie au réel 1919-1994 : 75 ans de logement social en Wallonie ; Liège, Centre Culturel Les Chiroux, 1994)

Spéculation et indemnités de guerre.

La social-démocratie évite de heurter de front la spéculation foncière. On ne taxe pas les propriétaires riches comme à Vienne. Les spéculateurs ‘nationaux’ sont laissés tranquilles, mais on se rattrape auprès des vaincus. Le programme des cités jardins est financé en partie par les indemnités de guerre. La fin des paiements des dommages de guerre par les Allemands supprime donc un apport financier non-négligeable. C’est ce qui explique que les cités sont construites durant une courte période seulement, de 1921 à 1926. Le peu de subventions pour des équipements collectifs disparaissent. 
Cité moderne Koekelberg
Pour la cité Moderne par exemple, construite en 1922 à Koekelberg, le jeune architecte Victor Bourgeois, grand prix à l’exposition des arts décoratifs à Paris en 1925, avait prévu une place des coopérateurs et des magasins. Cette place ne verra jamais le jour.
Ceci dit, la fin des dommages de guerre n’arrête pas la construction de cités, qui ne sont plus construits sur une trame coopérative, et où les équipements collectifs sont de plus en plus clairsemés. Mais le modèle original d’Unwin était déjà tellement dilué au départ que l’on aurait difficile de distinguer à l’œil les cités construits avant 1926 et après.
Encore aujourd’hui certains de ces cités ont gardé un charme certain, même si de plus en plus de jardinets sont remplacés par des clinkers ou du béton… Et même si, au départ, ces cités ont été assez mal accueillies, au moins si on doit se baser sur les surnoms: on parlera de « Petite Russie» pour désigner telle cité-jardin (Zelzate) ou de « Maroc » pour identifier telle autre...
Toujours est-il que 1926 est une rupture par rapport à la maison unifamiliale. Pour économiser sur le prix des terrains on va construire en hauteur. Ce qui n’empêche pas certaines réalisations très réussies. En 1930 583 appartements sont construites Avenue Elisabeth aux Vennes qui ont encore aujourd’hui pas mal de charmes.

Voies de grande circulation et rues résidentielles

Unwin Town Planning
On retient d’Unwin la distinction entre voies de grande circulation et rues résidentielles. .Les maisons sont disposées de part et d’autre d’une rue courte, d’une place, d’un square ou d’un clos. Les rues ont une fonction résidentielle. Elles donnent accès aux habitations. Elles ne servent pas au passage des voitures. La bande de circulation y est volontairement étroite afin de réserver de l’espace aux trottoirs, éventuellement arborés, et aux jardinets situés devant les maisons. Des venelles et des sentiers se faufilent dans la verdure, à l’arrière des jardins, et conduisent vers des placettes réservées aux piétons. Nous verrons comment dans les années 30 le CIAM propose les 7V, une classification des voies de circulation avec la largeur des voies en fonction des besoins et des moyens de transport.

La Maison sérésienne, Le Home ougréen et L’Habitation jemepienne etc.

Le suffrage universel acquis en 1919 porte donc le Parti ouvrier au pouvoir à Seraing, Ougrée et Jemeppe.
Maison Sérésienne
En 1921 les nouvelles majorités socialistes fondent La Maison sérésienne, Le Home ougréen et L’Habitation jemepienne. La Maison sérésienne occupe des espaces sur les collines, avec la cité des Biens communaux à Seraing (on y remplace dans les années 1945-1960 des baraquements du fonds Albert). Le Home ougréen recycle un crassier d’Ougrée-Marihaye, sur le site des Forges et Laminoirs du Haut-Pré, à la fois pour acquérir du terrain à bas prix et pour fabriquer les briques nécessaires aux premières constructions. L’Habitation jemeppienne construit la cité-jardin du Bois du Mont à Jemeppe.
La Maison liégeoise commence en 1921 la cité Naniot, en style cottage.
En 1925 l’architecte Joseph Moutschen construit la Cité des Cortils (Jupille), avec la collaboration du sculpteur O Berchmans.
Bas de la rue Naniot — Années 80
Et nous avons déjà mentionné la cité du Tribouillet, au Thier à Liège.
Ceci dit, les cités jardins ne sont pas le monopole des coopératives. Des patrons s’y mettent aussi, et avec un certain mérite point de vue architectural.
La cité du charbonnage de Cheratte, construite à partir de 1920, comptait 200 logements pour les familles et 128 chambres pour célibataires dans le phalanstère. Cette cité appartenant au charbonnage, ne pouvaient y vivre que les travailleurs du charbonnage. La cité comportait à ses entrées de lourdes grilles qui étaient fermées la nuit et les "étrangers" à la cité étaient sévèrement contrôlés par des gardes. La cité de Cheratte a été rachetée au Charbonnage du Hasard par la Régionale Visétoise d'Habitations Sociales en 1978.
Cité 1 Winterslag
La Cité de Winterslag a été conçue en 1912 par l'architecte bruxellois Adrien Blomme qui avait été engagé par le directeur de la mine Evence Coppée, à l'exemple des quartiers anglais avec beaucoup d'espaces ouverts et d'espaces verts. La hiérarchie dans la mine se reflète dans les maisons. Winterslag a été construit dans différentes phases : Juste avant la Première guerre mondiale, les premières maisons de la Cité I. La Cité II fut essentiellement aménagée entre 1922 et 1926 et la construction de la Cité III fut commencée en 1930, mais elle fut seulement partiellement réalisée. La Cité IV (la Kolenslagcité) fut construite entre 1947 et 1950, pour abriter les nombreuses familles, principalement italiennes, de migrants.
Dans un prochain blog nous allons voir la suite des cités jardins. Avec l’aide du roi Albert, le socialiste Camille Huysmans lance l’école de la Cambre, présidé par Henry van de Velde, l'un des acteurs majeurs du mouvement moderniste de l'architecture et du design en occident au début du XXe siècle. Van de Velde est membre du POB, et s’entoure de toute une série d’architectes qui ont gagné leurs gallons avec les cités jardins.
En 1928, à La Sarraz (Suisse), se réunit le premier CIAM, Congrès International d'Architecture Moderne. Un de ses membres fondateurs était Victor Bourgeois, De La Cambre. En 1933 le CIAM publie la Charte d'Athènes, qui marquera l’urbanisme pour des décennies. Mais la crise de 1929 va rogner fameusement les moyens. Et faute de moyens, les Ciam auront tendance à tirer des plans sur la comète…
En Belgique,  le POB va ‘gérer’ la crise. Or,  «les animateurs du mouvement moderniste occupent un grand nombre de postes clés. Ils vont gérer une série de positions institutionnelles, à la mesure de la place que le monde
socialiste tend à prendre dans la société belge. L'essentiel des postes à pourvoir leur fut réservé, et ils ont, avec beaucoup de fidélité, épousé les thèses du POB, y compris parfois dans les errements de ce parti ».
Ils se lanceront à fond dans le plan De Man. Et se retrouveront, en 1940, avec Deman au Commissariat de la Reconstruction, sous l'Administration militaire allemande dirigée par le Général Reeder. Henry Van de Velde y est « conseiller esthétique de la reconstruction au Commissariat Général de la Restauration du Pays ». Au sortir de la guerre, il est accusé de collaboration avec l’Allemagne et se voit prier de quitter la Belgique. En 1947, il s’exile en Suisse. Yvon Falise aussi, dirigeant du groupe liégeois L’équerre, Échevin des travaux publics durant l’occupation, sera condamné lors du procès du Grand Liège en 1945 puis réhabilité en 1959.
Mais les CIAM feront partie d’un autre blog.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Madame, Monsieur,
Je suis actuellement en Master 2 en politique économique et sociale. Je realise un mémoire en sociologie urbaine. J'aurais voulu savoir si vous possédez de la documentation sur la place Jules Seeliger ou la citée jardin Naniot.

Je vous remercie d'avance de l'attention que vous porterez à ma requête.

Claude Hitabtuma
0479884385