lundi 20 janvier 2014

Les ruines du Bouxhtay: le plus beau paysage de Herstal, jadis une montagne de charbon

J’ai dernièrement montré à Nadia les ruines du  Château du Bouxhtay . Elle est née herstalienne et ne les connaissait pas. C’est pourtant pour les experts qui ont élaboré le Schéma de Structure Communal de Herstal, le plus beau paysage de notre ville. Le Ravel Meuse – Liers passe  par là et met ce paysage bien en valeur. Il y a des siècles ce beau paysage était la montagne de charbon: le sous-sol a été fouillé à fond à la sueur de générations de « houilleux ». Et au départ, en 1359, il y avait une chapelle érigée pour le salut des âmes de demoiselles Idulle, Jehenne et Enguienne, filles du seigneur de Vottem.
Mais, avant de commencer, saviez-vous que le xh liégeois dans Bouxhtay , ça correspondrait au rouchi des chti’s ou à la chuintante ch du namurois? Bienvenu chez les chti’s ! A condition d’écrire Bouxhtay et pas Bouxthay…
Depuis six siècles au moins on retrouve le nom de ce hameau de la commune de Vottem sous nombreuses variantes : Busseteal,  Bosseteal, Bouxtheal, Boxtheal.

1250 : Saint-André et l'ordre teutonique

La première mention écrite du Bouxhtay, c’est en 1250, quand l'église paroissiale de Saint-André (place  du Marché à Liège) reçut une donation de près de sept hectares d'un seul tenant à Vottem et à Haren, de la chevaleresse Beatrix de Vottem. Haren, c’est la plaine de Haren, retranscrite en « Plein Hareng ». Et Saint André appartenait depuis 1220 à l'ordre teutonique. Cet Ordre de moines-chevaliers était omniprésent à Liège. L’archiprêtre des Teutoniques était une des plus hautes personnalités dans la Principauté. En 1897 le
chanoine Léon Dubois présente une étude sur le Bouxhtay . Il y retrouve encore « un château en majeure partie du XVII°, une vaste ferme et une chapelle», où il repère encore un banc de communion avec la croix de l’Ordre Teutonique et les armes du Révérend Jacques Frissen, archiprêtre capitulaire et curé des églises de SaintAndré et de Saint Gangulphe.
Notre brave chanoine ne mentionne pas le moulin qui a donné son nom à la rue des Meuniers ; ce chemin s’ouvrait dans la direction du moulin du château comme atteste un document des 1514 : ‘une pieche de terre gisant en lieu qdist a passel de mollin’.
Dans les archives de l'hôpital Saint-Jean à Liège il y a une donation de 1344, où les demoiselles Idulle, Jehenne et Enguienne, filles du seigneur de Vottem, laissent sept  muids de spelte avec plusieurs héritages et biens d’un rapport de  cent et vingt muids et d'une étendue de sept bonniers, situés au  lieu dit Bouxtheal, pour fonder un monastère de filles de l'Ordre  de Sainte-Claire. Lesquels biens, « ayant été dissipés et en partie  usurpés par les parents des dites filles, ont été trouvés insuffisants  pour la dite fondation ». A  la même époque on retrouve un titre de propriété au nom de Guillaume Pétillon, chanoine au chapitre Saint-Martin. Bref, du beau monde à Vottem !
Son Altesse Sérénissime Englebert de la Marck se tracasse pour la non-exécution de ce testament. Il arrange les choses en donnant quarante  muids aux Pères Chartreux et quarante muids à l'hôpital Saint-Jean-Baptiste pour entretenir une chapelle où seraient dites perpétuellement des messes  et des prières pour le repos des âmes des testatrices et de leurs  ascendants. Il reste encore quarante muids pour contenter les parents des dites demoiselles.
Ces biens sont rachetés par le chevalier Jean Boliawe de Mons, qui donna 1000 livres tournois (soit 6,7 kgs d’or pur) pour la construction de la chapelle vers 1359. A cette époque le chapitre Saint-Lambert possède la collation, c'est-à-dire le bénéfice ecclésiastique, de cette chapelle. 

Une montagne de charbon

L'an 1413, le mayeur et les échevins de Liège, les mambours  de l'hôpital Saint-Abraham et Don Bernard, prieur des  Frères Chartreux, firent un rendage proclamatoire des biens du  Bouxhtay, en faveur de damoiselle Marie, fille de messire Jehan  de Bernamont, comme plus offrante. Notre Messire de Bernalmont assassinera en 1435 le chanoine Lambert Dathin : « ils l'entraînèrent à Bernalmont, et après lui avoir brisé la tête à coups de maillet, le précipitèrent tout botté et éperonné dans le bur.... » Les Bernalmont  étaient dans le coin depuis 1325 et connaissaient les burs comme leur proche:  le Bouxhtay  était reconnu comme terre à houille et l'hôpital St Mathieu à la Chaîne y avait donné au chevalier
Chateau de Bernalmont
Hubert de Bernalmont l'exploitation de la grande veine de Sept Pieds.
Le charbon affleurait en si grande abondance que ces terres ont été pendant longtemps désignées par l'expression "montagne de charbon". La campagne de la Banse (et la rue de la Banse) doit son nom au bur ‘delle Banse’ (de la Manne), parce qu'on y débitait la houille par manne, au commencement de l'exploitation houillère. Il s’y trouvait aussi une fosse appelée ‘les belles dames’ et un bur de Bouck de l’Avaleresse.
Vers 1600 le château est la propriété de Lambert de Werteau, bourgmestre de Liège de 1608  à 1619 et comparchonnier, c'est-à-dire détenant une parchon, une part, dans un charbonnage: aujourd’hui on dirait un actionnaire. Son beau père Wathieu de Saulcy était seigneur d’Oupeye, d’Aaz et de Vivegnis, seigneurie qu’il vendra à Curtius le munitionnaire.

Terre de refugiés politiques

photo F. Muller
Par sa situation aux confins du Pays de Liège, le Bouxhtay  se prêtait admirablement à des incursions de malfaiteurs. Un cri du Perron « proclameit à Herstal à la pierre excommune en 1561, contre les personnaiges qui passeit en lieu derrier le Mollin de bouxhetea sus sorrir ung appeleit Piron le germea de Votteme et de fait l’avoir blescheit à plaie ouverte et sang corrant de sort qu’il en est piteusement parvenu à la mort ».
En 1684 un conflit éclata entre la Principauté et la Seigneurie de Herstal au sujet de bannis politiques. Le drossard de Herstal rouspète parce que « 44 hommes armés de Liège vindrent forcer la maison du chasteau de Bouxtheau et retournant sur courant Meuse où arriva un démelé entre euls et quelques refugiés qui se trouvaient là ».
En 1795 la Vve Collard hérite la propriété « avec ladite chapelle avec ses charges telles que le payement d’un prêtre qui vient d’y dire la messe festes et dimanches, outre cela deux escus, pour la messe annuelle le jour de Saint Servais, le repreneur ayant la faculté de pouvoir choisir telle prêtre qu’il trouvera à propos ». C’est les messes qu’Englebert de la Marck avait arrangé avec les Pères Chartreux et l'hôpital Saint-Jean-Baptiste pour le repos des âmes des testatrices !
Cette « charge » disparait à la Révolution et c’est Léonard Croisier, bourgmestre de Vottem (1800 - 1808) qui rachète le Bouxhtay. Un avoué, M. Collin, lui succède. C'est à sa fille, Mme Brognard-Collin, que l'on doit la conservation de la chapelle. Vers 1897 c’est son arrière petit-fils, « toujours prêt à fournir gracieusement des renseignements », qui aide notre chanoine Léon Dubois. ‘Il nourrit et exprime la ferme volonté de  conserver et d'entretenir soigneusement l’antique chapelle’. Dubois y
retrouve encore deux reliquaires en forme de sarcophage qui renfermaient des reliques des 11.000 vierges martyres de Cologne (il y en avait pour donner des reliques à tout le monde). Ces reliquaires se
trouveraient aujourd’hui à Notre Dame de la Licourt… 
Selon la légende les Huns ont tué à Cologne, avec Sainte Ursule, 11000 vierges. Au Moyen âge il y avait un cimetière romain à côté de l’église St. Ursule : une mine d’ossements qui a permis un commerce florissant de reliques des 11.000 vierges. Les reliquaires de la Licourt contiennent donc probablement des restes d’un centurion romain. C’est toujours ça ! Ces vierges se retrouvent, avec les couronnes des trois mages, dans le blason de Cologne, sous forme de larmes (on pleurerait pour moins) mais ces larmes sont en termes héraldiques des queues de hermeline. 
Et puis, patatras. C’est la déglingue. La famille vend et le château tombe dans les mains d’un certain Antoine Milliau, « coutumier de  réceptions, qui contribua, soit par négligence, soit par inconscience, à la ruine du domaine ». La boucle est bouclé : rappelons-nous qu’en 1344 les parents des demoiselles Idulle, Jehenne et Enguienne avaient 'dissipé et en partie  usurpé les biens qui auraient dû servir à la  fondation' d’un monastère...
Comme si ce château est hanté, la servante du châtelain Milliau décharge un revolver à bout portant sur la fille de la fermière (la Meuse 2/11/1898). Au printemps de 1914, à défaut d’un peu de soins, le toit de la chapelle s’effondra : ‘il n’avait pas attendu l’arrivée des pillards teutons’, remarque André Collart-Sacré.
Un autre historien local, auteur de « Chez nous à Vottem » a encore retrouvé la cheminée de la salle à manger du château  place de la Vaillance 17 à Anderlecht.  Ce qui nous laisse supposer que les bâtiments ont été vendus et démontés vers 1900.
Les ruines sont presqu’oubliées lorsqu’un siècle plus tard, l’équipe chargé du Schéma de structure Communal de Herstal ‘découvre’ une bande verte dans notre ville, avec comme joyau ce paysage du Bouxhtay. Je parie qu’ils se sont fortement inspirés du livre d’André Collart-Sacré, ce qui n’est pas un reproche mais un compliment ! 
En 2011  l’atelier U25 "Architecture, Art et Paysage" de l'ISACF La Cambre s’intéresse à ces ruines. L’atelier développe un programme (virtuel) pour une couverture légère pour protection des têtes de murs de la Chapelle du Bouxhtay  réalisable en  moins de 48h chrono par une équipe de 5/6 personnes. 
Je crois ne pas me tromper si je dis que le Ravel Meuse – Liers passe  par là suite à ce schéma de structure communal. Voilà ce qui peut se cacher sous un tas de vieilles pierres…

Sources

BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ D'ART ET D'HISTOIRE du DIOCÈSE DE LIÈGE de 1897, p471 http://www.archive.org/stream/bulletindelasoc10ligoog/bulletindelasoc10ligoog_djvu.txt  M. le chanoine Dubois décrit la chapelle et le château du Bouxhtay .
Collart-Sacré, La Libre seigneurie de Herstal, éd. Thone, 1927 tII p.80-87
« Chez nous à Vottem » reprend quelques belles photos du Château du Bouxhtay .
http://terrilsdeliege.11vm-serv.net/FORME2.htm Exemple d'étude géomorphologique d'un terril

Le mot de la fin est pour Jean Jaurès : « L'histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l'invincible espoir ». 
ISACF La Cambre

1 commentaire:

Unknown a dit…

A PROPOS DU CHÂTEAU DU BOUXHTAY
(Vottem Liège)



Découverts aux archives de l'Etat de Liège:par Anne Marie Colens 2 actes notariés datés de août 1729 concernant la donation du château précité et le changement de propriétaire de celui-ci.

Notaire Denivelle dalhem. (30 août 1729)



En français actuel.


L'an 1729 du mois d'août le trentième jour par devant moi notaire soussigné et en présence des témoins en bas dénommés:noble homme le sieur Mathieu Delle brouck d'une part et le sieur
Jean Jacques Chaumont mari de Marie Jenne delle Brouck sa fille.

Le premier comparant a déclaré renoncer en faveur du second acceptant au château et à tout ce qui en dépend dans le village de Vottem pays de Liège que dans la libre baronie de Herstal et partout ailleurs voulant que son gendre jouisse des dits château,biens et droits comme de son bien propre à
compter de demain.

Témoins : Mathieu de Monsen, Philippe Nicolas Denivelle.



2° acte :

Je soussigné déclare et promet que nonobstant ,qu'il soit dit dans l'acte passé ce jour en ma faveur
par le sieur Servais Mathieu Delbrouck mon beau-père ,devant le notaire Nicolas Joseph Denivelle
et témoins que le dit Delbrouck renonçait pourrait sa vie durant résider au château du « Bouxthay »
extant à Vottem pays de Liège sur la juridiction de Herstal.


Je soussigné Notaire public,atteste avoir vu signer ce document par J.J. Chaumont, les témoins
De Monsen et Nivelle.


(Sur ces 2 actes : orthographe -> Bouxthay)



Jean Jacques Chaumont fils de Simon et de Christine Tilleux (r.p. Dalhem)
Procureur à la Haute cour de Justice de Dalhem ,en 1727 Bourgeois de Dalhem,
en 1746 : Bourgmestre de Dalhem.