vendredi 28 février 2014

De la Charte d’Athènes à la Charte de Leipzig

La Charte d’Athènes a défini les grands principes des congrès internationaux d'architecture moderne (CIAM). Ces principes ont été encore longtemps après la dissolution et sont encore largement appliqués aujourd’hui. Et là où l’on démolit leurs barres par exemple on le fait à partir d’un faux bilan des points positifs et négatifs de cette tendance.
Les CIAM ont réuni des tendances politiques très diverses. Les  architectes et urbanistes communistes dans les pays capitalistes ont marqué les CIAM. En Belgique nous avons eu Braems. Le communiste brésilien Niemeyer en faisait partie. L’urbaniste communiste André Lurçat en était un membre fondateur. L’architecte Jean Nicolas, au PCF dès 1929, avait accueilli en 1937 la Vème ses­sion des CIAM. Au niveau théorique, l’historien de l’architecture Anatole Kopp organise en 1966 un colloque franco-soviétique sur l’urbanisme. Dans l’élan du Programme commun, le colloque « Pour un urbanisme… »  réunit en 1974 élus locaux, architectes et urbanistes communistes.
Le Havre:Manhattan sur Mer (l'architecture)
ou Stalingrad sur Mer (la municipalité)
‘La ville radieuse’ de Corbu était au départ un ‘schéma organique’ pour Moscou. Selon Corbu, « les terrains libres de l’URSS apporteront le plan libre». Mais la lune de miel ne dure pas : dans sa ‘Réponse à Moscou’ il explique «qu’il est impossible de rêver à faire concorder la ville présente ou future». L’Union des Architectes de l’USSR appelle à ‘rejeter énergiquement les recettes fonctionnalistes’.Le IVe CIAM devait originellement avoir lieu à Moscou en 1932. L’enthousiasme n’y est plus, des deux côtés. Finalement, le IV° congrès s’organise autour d’une croisière de Marseille à Athènes en 1933. La Charte d’Athènes est un manifeste qui influence encore notre urbanisme aujourd’hui.
Cette charte n’est pas une rupture avec le communisme. Même si les conflits sont parfois violents. Lurçat qui a travaillé  à Moscou de 1934 à 1937, y prononce un discours sur ses divergences avec Corbu. Corbu exige son exclusion, qui est refusée.
Le IXe congrès des CIAM en 1953 est son chant de cygne. Team X chargé de préparer le CIAM X, le transforment en simple lieu de réflexion. Ces « jeunes » n'ont pas développé de théorie à proprement parler, mais développent des pistes intéressantes sur la rue comme «association humaine ». En soi, c’est une critique pertinente et une piste intéressante. Mais le Team X ne propose rien comme organisation. Ce vide est comblé un demi siècle plus tard le Conseil Européen des Urbanistes (CEU) qui présente la "Nouvelle Charte d'Athènes" en 1998.  En fait, c’est tromper un peu sur la marchandise. Cette nouvelle charte n’est en rien la prolongation idéologique des CIAM. Cette Charte a été révisée en 2003 lors d’une conférence internationale à Lisbonne. Un lien avec le traité de Lisbonne ? Certains proposent carrément une "Charte de Lisbonne" afin d'éviter la confusion avec la célèbre "Charte d'Athènes", ‘dont le caractère messianique ne prenait en compte ni analyse sociologique ni besoins de la population’. Cette charte de Lisbonne est remplacée en 2007 par la Charte de Leipzig dont le maître-mot est la compétitivité des villes et des régions. Cette Charte est en fait une Charte Partenariat Public Privé (PPP). 

La Charte d’Athènes 

Paris - le plan Voisin
La Charte d’Athènes veut caser les quatre fonctions -habiter, travailler, se divertir et circuler – dans des zones différentes. C’est aussi le rejet de la rue et le mépris des centres historiques. Pour Le Corbusier, « au-dessus des arbres de la Ville verte, vogue le grand vaisseau de béton de l'unité d'habitation". Dans la cité radieuse « la ville est dans le jardin, complète avec ses logements, son hôtel et ses boutiques, sans que les habitants aient à en sortir pour leurs occupations coutumières» (François Parfait dans la revue Urbanisme, 38, 1954).
Les CIAM veulent ‘tuer la rue corridor, ces interminables réseaux d'infrastructures des cités-jardins, banlieues interminables des villes’.
Victor Bourgeois- Tribouillet Liège
Les CIAM sont assez doctrinaires et ne sont pas très à l’écoute des habitants. « L’urbanisme appartient à l’architecte », disait Victor Bourgeois. Le Corbusier note dans sa préface à la réimpression de La Charte d’Athènes, en 1957 : “Dans la période 1941-1942, le mot de Charte apparut comme une injonction à penser droit.” Ce dernier mot est non seulement connoté (Jean Giraudoux, dans son liminaire à la première édition, en 1943, évoque la “phalange” que constituent les partisans des CIAM et réclame “un chef” pour impulser leurs ambitions…). ‘Penser droit’ est  aussi daté ; cela appartient à l’esprit vichyste, tout comme les termes “communauté”, “corporatif”, “ordre”, “autorité” et quelques autres. Le maréchal Pétain promulgue aussi une Charte de l’urbanisme, par la loi du 15 juin 1943…
Les CIAM veulent faire table rase des centres historiques. "Paris est un cancer en bonne santé" disait Le Corbu. C’est dans cet esprit que  Le Corbusier publie en juillet 1930 sa ‘Réponse à Moscou’: 66 pages, 21 planches de plans. Dans la ligne de son plan Voisin pour Paris, il juge «qu’il est impossible de rêver à faire concorder la ville présente ou future». Les Soviets répondent que « le centre de Moscou n’est pas fossile, et, cerveau principal de la capitale, il se développera encore avec elle». Le 27 novembre 1930, lors du Ciam de Bruxelles, son ‘schéma organique’ pour Moscou devient ‘la ville radieuse’. L’Union des Architectes de l’USSR appelle à ‘rejeter énergiquement les recettes fonctionnalistes, et de faire une assimilation critique de l’héritage du passé’.
L’IVe CIAM devait originellement avoir lieu à Moscou en 1932. Mais l’enthousiasme n’y est plus, des deux côtés. Finalement, le IV° congrès s’organise autour d’une croisière de Marseille à Athènes en 1933. Ce sujet est développé en long et en large sur mon blog.
La Charte d’Athènes est donc une rupture entre les CIAM et les principes mis en œuvre en URSS à partir du II° plan quinquennal. Mais la lutte entre ‘urbanistes’ et ‘désurbanistes’ continue encore un certain moment en URSS.

‘Urbanistes’ et ‘désurbanistes’ en URSS

Figure emblématique de l’urbanisme socialiste, Nikolaï Milioutine (1889-1942) publie en 1930, en tant que président de la Commission pour la construction des villes soviétiques, son livre ‘Sotsgorod. Le problème de la construction des villes socialistes(Paris, Les Editions de l’imprimeur, 2002, p.106; en russe, 1930). L’architecte allemand Ernst May, qui dirigera, entre autres, le projet de ville minière de Magnitogorsk, fera traduire l’ouvrage. L’URSS développera la politique volontariste la plus intensive de construction de villes nouvelles connue jusqu’à présent, 1.200 en soixante ans. Le modèle soviétique sera reproduit en en Pologne (Nowe Tychy, Nowa Huta, etc.), Hongrie (Dunaujvaros, Komlo, Varpalota) et en Chine où une soixantaine de villes nouvelles industrielles ont ainsi été créées autour de Shanghai. Anting New Town est ainsi accolée à Anting, ville satellite de l’industrie automobile.
Milioutine développe le concept de micro-raïon, «composé d’un complexe d’immeubles de logements et de bâtiments pour les services de la vie quotidienne pour la population (jardins d’enfants, crèches, écoles, cantines, équipement commercial de proximité, aires de sport et jardins)». Ce micro-raïon sera l’unité fonctionnelle élémentaire de la ville soviétique.
L’assemblage des cellules d’habitation et des équipements proposés par Milioutine suivait le concept de ville linéaire et pouvait être implanté «en ligne le long de la route». Chaque micro-raïon forme un grand bloc et leur juxtaposition standardisée dessine un tissu en damier. Milioutine voyait dans la cité-jardin, éloignée de la ville, destinée uniquement à l’habitat et constituée principalement de maisons individuelles, un projet bourgeois. Dans sa lutte contre le capitalisme, la ville et la campagne ne devaient pas être dissociées.
De nombreux projets de concours de villes furent examinés par Milioutine, parmi lesquels Stalingrad. Il proposa à plusieurs reprises des modifications pour une organisation linéaire capable de se développer dans les deux sens, suivant le système de la chaîne de production par juxtaposition de bandes parallèles: chemin de fer, usine, zone verte, route, zone résidentielle, parc, rivière. L’organisation idéale pour Milioutine était celle qui minimiserait les temps de déplacement entre l’habitat et le lieu de production. C’est presque prophétique : aujourd’hui le débat sur la mobilité est d’une actualité brûlante. Le
URSS- Ville linéaire - ill. Labo urbanisme
chemin de fer définit les grands axes de localisation des villes nouvelles industrielles soviétiques. En principe, l’ouvrier socialiste devait pouvoir accéder à pied à l’usine. Réduire les infrastructures coûteuses était un des paris. Bus, taxis et bateaux remplaceraient les tramways, viaducs et tunnels.
Finalement, les discussions entre «urbanisme» (dans le sens aujourd’hui de «ville compacte») et «désurbanisme» («ville diffuse»), sont toujours d’actualité. Mais il est difficile de généraliser ces expériences intéressantes liées à une situation où les moyens de production sont socialisés. Rappelons-nous la phrase de Corbu : « les terrains libres de l’URSS apporteront le plan libre». Sans expropriation on a un autre urbanisme…
voir aussi Jay Rowell, « La ville socialiste introuvable : une catégorie d’action et de signification en RDA » (L’Année sociologique, vol. 58, no 1, 2008, p. 143-167).
« Actes du 1er colloque franco-soviétique de géographie urbaine »  (Villes en parallèle nº 3 1980)
« Croissance et structures urbaines dans les pays socialistes européens » (Villes en parallèle nº6 1982).
« La ville soviétique avant la perestroïka » (Villes en parallèle nº nº 26-27 1998).

Architectes et urbanistes communistes dans les pays capitalistes

Il y a aussi une série de grands architectes communistes dans les pays capitalistes. En Belgique nous avons eu Braems.
Brasilia- Niemeyer
Oscar Niemeyer porte par exemple le jugement suivant sur Brasilia, où il a été responsable de l’architecture, de l’architecture seulement: « J’appartiens au Parti communiste depuis 1945. Lors de la construction de Brasilia, on pensait que ce serait une cité heureuse. Mais une fois que la ville a été terminée, j’ai eu un choc: c’est une cité moderne, mais une ville de la discrimination, de l’injustice, de la séparation entre les riches et les pauvres, ceux-ci, comme partout, rejetés à l’extérieur de la ville qu’ils ont construite…J’ai été responsable de l’architecture, de l’architecture seulement. Mais quand je pense à ce que doivent être les villes, je tiens qu’elles doivent réunir tous les types de
Brasilia
population. Le développement industriel s’est fait à l’écart des cités, et avec les industries les ouvriers y sont relégués. La seule cité digne de ce nom doit regrouper toutes les activités de tous les hommes: elle doit être un bien commun. Cela est réalisable, à condition que l’on veuille bien prendre les problèmes à leur base. Et ici il est simple : que toute l’industrie soit rendue non polluante. Mais un tel projet se heurte évidemment aux assises de la société capitaliste. Et l’architecte n’a pas le pouvoir de la changer. Mais il peut protester contre la notion de ‘cité-ouvrière’, de ‘maisons ouvrières’. Les ouvriers n’ont pas besoin de ces cadeaux. Ce qu’il faut, c’est changer la société 
».
En France nous avons eu Lurçat, grand urbaniste du communisme municipal. Lurçat a été invité à Moscou en 1934 et y travaille jusqu’en 1937. En janvier 1934 il prononce à Moscou un discours sur ‘L’architecture contemporaine en Occident’ où il critique Corbu. Corbu adresse immédiatement un réquisitoire contre Lurçat au CIAM. Une Commission d’enquête composée de Bourgeois, Gropius  et Giedion décide néanmoins un non lieu.

Quandcommunisme municipal rimait avec laboratoire urbain 

siège du PCF- Paris- arch. Niemeyer
La notion de « banlieue rouge » émerge en 1924 lorsque Paul Vaillant-Couturier baptise de ce nom les mairies communistes de banlieue parisienne prises par le PCF : des communes de banlieues très majoritairement composées d'ouvriers, dont l'économie repose sur de grandes usines.
L’architecte Jean Nicolas rejoint le Parti communiste français (PCF) dès 1929. Il devient secrétaire général de la Maison de la Culture, où il croise André Malraux. C’est la Maison de la Culture qui accueille en 1937 la Vème ses­sion des CIAM.
Les groupes d’Habitats à Bon Marché (HBM) de Vitry et d’Ivry des années 1920-1930 étaient les fleurons de la politique sociale du PC. Un documentaire de 1938, “Les Bâtisseurs”, commandé par la Fédération CGT du bâtiment, donne longuement la parole à Le Corbusier, et le film place l’architecture fonctionnaliste dans la lignée de la construction des cathédrales.  ‘Aubervilliers’ (1946), un film de Jacques Prévert Lotard, commandé par le maire Charles Tillon, montre la misère noire du logement en banlieue. Les municipalités communistes réclament des logements.
André Lurçat est membre fondateur des CIAM. Nous avons déjà mentionné son discours critique sur Corbu en 1934. Il participé à la création du Front national des architectes résistants. Fin août 1944, à la tête d’une délégation du Front national des architectes (FNA), l’arme au poing, Lurçat fait le siège de l’Ordre des architectes créé par le gou­vernement de Vichy
A la fin de 1944, Lurçat est nommé urbaniste en chef de la reconstruction de Maubeuge, par le Gouvernement Provisoire du Général de Gaulle. Lurçat convoque les Maubeugeois à participer à « la Bataille de la reconstruction » et les invite à s’exprimer dans des « meetings d’urbanisme ». Puis il crée le Comité local d’urbanisme avec des représentants des corps de métiers, de syndicats, d’associations, et des sinistrés pour mettre au point le projet.
Ce souci de mobilisation et de dialogue avec les forces vives distingue fondamentalement les urbanistes communistes des CIAM. A la même époque Saint Dié refuse les plans de reconstruction de Corbu.
Lurçat s’oppose aussi au démantèlement complet des fortifications de Vauban malgré le grand nombre de Maubeugeois qui militent pour leur destruction. Il obtient leur classement au titre de Monument Historique en 1947. Ce respect pour l’histoire est aussi une rupture implicite avec les CIAM (Droitau logement et mixité: les contradictions du logement social  Par Noémie Houard).
A la même époque, le PCF demande à Auguste Gillot, nouveau maire de Saint Denis, de faire une ville moderne modèle. En tant qu’architecte et urbaniste en chef de la ville de Saint-Denis.  Lurçat a le souci omniprésent de conserver le lien entre l’habitant et sa ville. Il maintient toujours le rapport à la ville ancienne en créant des perspectives visuelles qui luttent contre l’isolement de ses cités.
L’implantation des nouveaux quartiers en symbiose avec la ville est un troisième élément distinctif par rapport aux CIAM.
Siège pcf colonel fabien - salle comité central
Niemeyer construit lors de son séjour à Paris, à partir de 1965, le siège du Parti Communiste Français, place du Colonel Fabien : une architecture simple, inventive et différente, pour représenter l’essence même du PCF: « Le béton, ce matériau merveilleux, a été réduit par les dogmes du fonctionnalisme à la monotonie que nous connaissons. Le siège du P.C. est une architecture qui fonctionne bien et qui est nouvelle. Je n’ai pas bâti un cube de verre ‘rationnel’, un aquarium, mais un palais. Le siège du P.C. est une leçon d’architecture sur la libération de l’espace. Et cette libération essentielle de l’espace pourrait rendre aussi à la ville sa végétation… »
Les élus des plus petites communes se tournent vers l’Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA). Avec l’Atelier de Montrouge, également proche du PCF, l’AUA est une des sources du renouveau architectural français des années 1960.
L’historien de l’architecture Anatole Kopp organise en octobre 1966 un colloque franco-soviétique sur l’urbanisme et la construction. Kopp a découvert l’URSS en 1956, par le biais d’un voyage de la commission architecture du PCF. Il travaille alors sur l’architecture soviétique des années 1920 et publie ses recherches dans Ville et Révolution (Paris, Seuil, 1972). Anatole Kopp publie aussi ‘Changer la vie, changer la ville. De la vie nouvelle aux problèmes urbains’ (URSS 1917-1932, Paris, 10/18, 1975) et ‘L’architecture de la période stalinienne’ (Grenoble, P. U. G., 1985) .
Dans l’élan du Programme commun, le colloque « Pour un urbanisme…»  réunit en avril 1974 à Grenoble élus locaux, architectes et urbanistes communistes.
Terre d'élection par excellence du PCF jusque dans les années 1970, la ceinture rouge de Paris s'est réduite avec le déclin électoral amorcé en 1981. La banlieue rouge connait son apogée en 1977 lors des élections qui voient le triomphe de l'union de la gauche. En région parisienne il conquiert 15 villes de plus de 20 000 habitants et domine la petite couronne. Après 1989, la banlieue rouge est pour l'essentiel ramenée à ses bases de départ des années 1950, c'est-à-dire aux fiefs historiques du PCF. La banlieue rouge existe-t-elle encore en 2010 ?
Henri Lefèbvre
Dans les urbanistes communistes français je mentionne, même s’il n’a jamais été membre des CIAM, Henri Lefèbvre qui devient un idole de Mai 68 en tant que prof à Université de Paris X-Nanterre. En 1940, il avait rejoint la Résistance. Il est exclu du PCF en 1958 pour son rejet sans concession du stalinisme. En 1960, il signe le manifeste des 121 pour le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie. Il finit son parcours à l'Institut d'urbanisme de Paris.
Il s'est occupé des problèmes d'urbanisme. Il formule notamment la nécessité de l'affirmation d'un nouveau droit, le droit à la ville. L'espace est le produit de la société, chaque société et valeur doit produire son espace. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la ville et l’urbain, dont Terre urbaine. Cinq défis pour le devenir urbain de la planète (2007), Habiter, le propre de l’humain (collectif, 2007), La Folie des hauteurs. Pourquoi s’obstiner à construire des tours ? (2008) et Ghettos de riches. Tour du monde des enclaves résidentielles sécurisées (collectif, 2009). Daniel Zamora reprend cette notion dans EM N°98.

Le team X et la "Nouvelle Charte d'Athènes"

Urban Re-identification Grid CIAM IX
Le IXe congrès des Congrès internationaux d'architecture moderne en 1953 est un peu son chant de cygne. Un groupe est chargé de préparer le CIAM X qui se déroulera à Dubrovnik en 1956. En fait, ce Team X ou encore Team Ten est en rupture avec les conceptions rationalistes de leurs prédécesseurs. Le Team X n'a pas développé de théorie à proprement parler. Il se voulait un simple lieu de réflexion. La rupture se cristallise pour une grande part sur une différence de conception de la rue. De la rue « machine à circuler », les « jeunes » passent à la rue qu'ils désignent comme « association humaine ». En soi, c’est une critique pertinente et une piste intéressante. Mais le Team X ne propose rien comme organisation.

Ce vide est comblé un demi siècle plus tard par le Conseil Européen des Urbanistes (CEU) qui présente la "Nouvelle Charte d'Athènes" en 1998.  En fait, c’est tromper un peu sur la marchandise. Cette nouvelle charte n’est en rien la prolongation idéologique des CIAM. Cette Charte a été révisée en 2003 lors d’une conférence internationale à Lisbonne. Un lien avec le traité de Lisbonne ? La SFU (Société Française des Urbanistes), qui a contribué pour la France à la rédaction, fait ce lien d’une manière assez directe : elle
propose d’ailleurs le titre "Charte de Lisbonne" afin d'éviter la confusion avec la célèbre "Charte d'Athènes", ‘dont le caractère messianique ne prenait en compte ni analyse sociologique ni besoins ou avis de la population’. Parfois la SFU parle aussi d’une "Charte pour l'urbanisme des villes du XXIème siècle". Une nouvelle idée aussi messianique pointe à l’horizon de cette nouvelle Athènes : la compétitivité des villes. Extraits : « Une ville cohérente sur le plan social sera capable de fournir un plus grand sentiment de sécurité et mettra ses habitants plus à l’aise. Au XXIème siècle encore, les villes économiquement réussies seront celles qui auront su capitaliser sur leurs avantages compétitifs. Un haut degré de connectivité multi-niveaux sera pour elles un atout majeur. Pour une ville recherchant la cohérence, capitaliser sur ses arguments culturels et naturels, en jouant de ses valeurs héritées de l’Histoire et en mettant en avant sa singularité et sa diversité, deviendra de plus en plus un avantage significatif. De même, l’offre d’un cadre de vie et de travail plaisant, sain, et sûr, augmentera considérablement dans le futur les chances des villes de rester attrayantes en réponse aux exigences croissantes des activités économiques sollicitées de toutes part ».
photo urbanismovivo
Ceci dit, il reste quand même une petite marge pour la critique. La PARTIE B Questions et Défis soulève néanmoins quelques points intéressants et critiques: « A travers l’Europe, des changements radicaux dans la gouvernance influencent le contexte de l’aménagement et de la gestion des villes. La dérégulation et la privatisation offrent de nouvelles voies pour financer et permettre les projets de développement. Les villes, forcées à rentrer dans la mise en compétition des investissements entre différentes villes, adoptent fréquemment un style entrepreneurial de gestion avec des visions à plus court terme et surtout avec des objectifs guidés par les aspects financiers, bien différemment de ceux traditionnellement associés à l’activité des pouvoirs publics locaux dont la fonction première était l’intérêt public. Cela s’exprime, par exemple, par le développement de nombreux partenariats public/privé, par un net engagement dans les approches et techniques du marketing urbain ou dans la recherche
d’investissements promotionnels. Ceci conduit parfois les pouvoirs publics locaux à négliger l'implication du public dans les politiques d'urbanisme stratégique. Des manquements à la démocratie pourraient peut-être émerger dans des villes qui s'appuieraient trop sur le secteur privé pour distribuer les bénéfices sociaux du développement. Beaucoup de citadins déshérités sont exclus des bénéfices des communications modernes, des transports, des équipements et des services. Des zones spécifiquement dédiées à des consommateurs aisés tendent fréquemment à se développer dans des environnements clos, tandis que les habitants pauvres restent sans abri ou vivent dans les secteurs en déclin des centres-villes ou des banlieues.
De très importants problèmes financiers et sociaux auxquels beaucoup de villes se confrontent aujourd’hui conduisent à des défaillances dans la pratique de la démocratie locale parce que des autorités publiques laissent au marché libre des pans entiers de leur responsabilité de l’intérêt collectif ».
Je n’ai pas fait une enquête approfondie, mais j’ai quand même l’impression que la SFU et sa « Nouvelle Charte d'Athènes » s’est fait instrumentaliser par l’Union Européenne. Toujours est-il qu’il y a pas mal de convergences avec la Charte de Leipzig sur la ville européenne durable.

La Charte de Leipzig sur la ville européenne durable

Les maître-mots de la Charte de Leipzig sur la ville européenne durable, adoptée le 24 mai 2007, sont la cohésion et compétitivité des villes et des régions. ‘La Charte de Leipzig est fondée sur la conviction des Etats-Membres de la nécessité de promouvoir la cohésion territoriale de l’Union Européenne tout en poursuivant les objectifs des Stratégies de Lisbonne’. L’Union Européenne prétend qu’un tiers de son budget est affecté à la politique de cohésion:
« L’Union œuvre en faveur de la convergence et de la compétitivité des villes et des régions grâce à sa politique de cohésion, à laquelle elle a alloué quelque 350 milliards d’euros, soit 35,6 % du budget total, pour la période 2007-2013 ».
Cette Charte est en fait une Charte Partenariat Public Privé (PPP). Quelques extraits : « une politique de développement urbain intégré par l’association des acteurs économiques, des groupes d’intéret et du public (p.2). Le rassemblement des connaissances et des ressources financières permet  de mieux concerter les investissements publics et privés. Mettre à profit et coordonner l’utilisation des moyens financiers mis en place par les agents publics et privés ».
centre pompidou Metz
C’est à partir de cette compétitivité qu’elle définit une série d’axes: « gérer l’offre de terrains et contenir toute tendance à la spéculation. L’aménagement de quartiers urbains mixtes d’habitat, d’activités professionnelles, de formation, d’approvisionnement et de loisirs apparaît comme étant particulièrement durable. Une politique d’intégration sociale qui combat les inégalités et l’exclusion sociale est la meilleure prévention pour garantir le maintien de la sécurité dans nos villes. Une politique de logement social bien conçue constitue un moyen efficace pour atteindre la cohésion sociale. Pour trouver la meilleure solution pour chaque quartier urbain défavorisé, une participation active des habitants et une intensification du dialogue entre les responsables politiques, les habitants et les acteurs économiques s’avèrent indispensables.
Les principaux objectifs de la Charte sont de  renforcer les centres villes afin de mettre un frein au phénomène de l’étalement urbain, de prêter assistance aux quartiers défavorisés afin que ces quartiers ne nuisent pas à l’attractivité, à la cohésion sociale et à la compétitivité des villes ».

La déclaration de politique régionale wallonne s’inscrit dans la charte de Leipzig

La déclaration de politique régionale wallonne (DPR) s’inscrit dans la charte de Leipzig: la densification, la reconstruction de la ville sur la ville (p. 34), la mobilité douce, la mixité des fonctions, le retour des activités économiques en ville, la promotion du commerce de proximité, le développement équilibré de l’ensemble des fonctions économiques.
La DPR souhaite délimiter les noyaux d’habitat sur base de critères objectifs et qualitatifs. Le Gouvernement s’engage à examiner la mise en oeuvre d’une politique foncière régionale au travers d’un fonds spécialisé pour les acquisitions et les expropriations, d’une adaptation du mécanisme de financement des communes, d’un dispositif de gestion des plus-values et moins-values d’urbanisme, et d’un recours accru au droit de préemption et aux autres outils fonciers (p. 137).
Le Gouvernement veut tendre vers un objectif de 20 % de logements au loyer conventionné sur l’ensemble du territoire wallon (p. 88). Ces logements seront publics, associatifs ou privés (pris en gestion ou conventionnés). Chaque commune devra tendre vers une proportion de 10 % de logements publics ou subventionnés, mais celles qui en ont plus pourront continuer à développer plus de logements sociaux. Il faut intégrer des fonctions telles que le commerce dans des opérations de création et de rénovation de logements publics afin de promouvoir la mixité sociale et l’équilibre financier des sociétés de logement; concentrer l’action des communes qui ne disposent pas de réserves foncières suffisantes sur leur territoire pour la construction de logement neufs, sur des opérations d’acquisition-rénovation et sur la mobilisation du patrimoine inoccupé ; développer la procédure des partenariats public-privé pour la mobilisation des terrains publics ou parapublics à affecter à la politique du logement. Il est intéressant de voir comment ces principes sont traduits en 2014 dans le Schéma de Développement Régional (SDER).
La DPR veut doter la région d’un schéma de développement commercial, assorti d’une cartographie permettant de réaliser des simulations multicritères, de manière à outiller les communes pour l’examen des projets commerciaux , et assumer une politique cohérente par « bassin de vie » dans l’octroi des permis socio-économiques.
La DPR veut un report modal par la construction de parkings de dissuasion qui permettent aux automobilistes de laisser leur voiture en sécurité à l’entrée des villes et de prendre en suite les transports en commun.
Le SDEC est un schéma élaboré par l'Union Européenne pour coordonner l'aménagement et le développement du territoire des différents Etats de l'Union.
Le SDER (Schéma de Développement EspaceRégional), s’inscrit dans le SDEC. Certaines communes comme Herstal ont un Schéma de Structure Communal (SSC).
Je ne vais pas développer ici la critique des partenariats public-privé. L’idée à la base de la cohésion sociale est évidemment la collaboration de classes, où c’est toujours les mêmes qui sont les dindons de la farce. Mais cela n’empêche qu’il y a là dedans des concepts intéressants d’aménagement de quartiers urbains mixtes d’habitat, d’activités professionnelles, d’approvisionnement et de loisirs (voir mon blog), de renforcement des centres villes afin de mettre un frein à l’étalement urbain, etc.

Politique de « la » ville et cohésion sociale.

photo nouvelobs
A première vue c’est étonnant de voir que l’Union Européenne aborde l’urbanisme à partir de la cohésion sociale. Mitterrand avait donné le ton en lançant «Banlieues 89». Quatre cents quartiers «posaient des problèmes» dans les grandes villes françaises. Mitterand concentre les efforts de l'État sur les mécanismes d'exclusion ; il préconise la participation des habitants et particulièrement des jeunes à la renaissance des cités et la création d’emplois pour les habitants de ces quartiers. Mitterrand veut que les 400 communes «très riches» mettront des moyens financiers aux 400 communes où se trouvent les quartiers en difficulté pour mener à bien la rénovation. «Banlieues 89» a donc vu le jour après les violences des Minguettes et de La Courneuve. Pour l'architecte Roland Castro, c’est «civilisation urbaine ou barbarie. Soit on va se bouger sur la ville, soit il va arriver des choses vraiment graves dans cette société, un déchirement social ». De déchirement social il n’y a qu’un pas à « cohésion sociale ».
Roland Castro a un bon pédigrée : Militant pro FLN, il rejoint le Parti communiste en 1961 avant d’évoluer
en 1967 vers les maoïstes de l’Union de la jeunesse communiste marxiste-léniniste. Il est le représentant de mai 68 à l’école des Beaux-Arts. En 1969, il co-fonde le mouvement « Vive la révolution », auto-dissous en 1971. Son rapprochement avec François Mitterand date de 1976. En 1992, barre à droite : il devient consultant de Charles Pasqua. Il effectue ensuite un nouveau virage vers le PCF, sous Robert Hue.
La politique de la ville est explicitement territoriale, mais  implicitement elle est ethnicisé. On parle de revitalisation, requalification urbaine, de quartiers sensibles, d’un plan Marshall pour les banlieues, de ségrégations socio-spatiales et de ghettoisation. On s’abrite derrière le vocabulaire de la mixité sociale et de composition ethno-raciale des quartiers pour imposer une stratégie de déconcentration spatiale des minorités ethniques, de gentrification du territoire  mais aussi de sécurisation (Rénovation urbaine. Les leçons américaines KIRSZBAUM ThomasPresses universitaires de France;  coll. La Ville en débat, 2009, 86 p).
Thomas Kirszbaum fait, à juste titre, le parallèle avec  la « rénovation urbaine » aux Etats-Unis,  connue sous le negro renewal ou de « bulldozer fédéral ». Les États-Unis ont été le plus loin dans la mise en place de politiques de lutte contre la ségrégation résidentielle. Les quartiers américains sont engagés dans une dynamique de « déghettoïsation » et ressemblent désormais à des patchworks. Le programme HOPE VI (Housing Opportunities for People Everywhere) voulait en finir avec les grands ensembles d’habitat social :
150.000 démolitions pour 1,4 million de logements sociaux. Il s’agit d’une combinaison de ‘place and people’ : le programme, nourri des visions du New Urbanism (faibles densités, nostalgie des solidarités et des organisations vicinales) vise conjointement mobilité (volontaire) des habitants et rénovation de leur habitat. Thomas Kirszbaum voit dans le renforcement des interventions publiques de rénovation urbaine une logique néolibérale, car relevant d’un principe d’investissement qui n’est pas nécessairement immédiatement en faveur des plus pauvres.
La ‘Politique de la ville’ cible officiellement l’habitat mais cible en réalité l’habitant. Or, les problèmes de l’habitat sont d’abord des problèmes
Le même lieu que le projet c-dessus 20 ans plus tard
d’habitants et de peuplements, plutôt que de bâti et de travail social.
Dans ma ville aussi mon maire F. Daerden ne veut pas « à tous crins augmenter la population de la ville de Herstal : notre volonté est de définir une stratégie pour un cadre de vie plus harmonieux avec plus de mixité sociale. »  La mixité sociale est un beau terme qui couvre une stratégie d’attirer des revenus moyens dans la ville. La compétitivité ne joue pas seulement au niveau d’attirer des entreprises ; c’est aussi la concurrence entre communes pour attirer ces revenus moyens. Les 262 communes de Wallonie se battent pour recueillir les plus gros revenus pour augmenter leur base fiscale et leurs recettes.
Les évaluations des relogements effectués à la suite des démolitions engagées dans les quartiers dits sensibles, au nom de la rénovation urbaine et de la mixité sociale, montrent que les habitants sont massivement relogés dans des quartiers de même nature. On substitue une population à une autre dans le but tacite de favoriser le « retour des Blancs ». La mixité sociale reste ce qu’elle n’a cessé d’être depuis la fin des années 90 : un argument potentiellement discriminatoire (au sens négatif du terme) pour modifier le peuplement des «cités » – et seulement de celles-ci – en agissant sur leur composition résidentielle. À défaut de discrimination positive centrée sur la mobilité résidentielle des minorités, la mixité sociale peut restreindre leurs opportunités résidentielles dans les quartiers où les acteurs des politiques de l’habitat estiment que ces populations sont en surnombre.
Commissariat de police Clichy-sous-Bois
Le 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois, deux ados meurent électrocutés dans un transformateur. La plus grande révolte qu’aient connue les banlieues françaises durera trois semaines, gagnera 200 villes, détruira 10 000 véhicules et nombre d’infrastructures pour une valeur de 250 millions d’euros.
L’émeute est d’abord un constat d’échec de Banlieues 89. Quinze ans plus tard le problème est toujours là. C’est un défi à l’austérité néolibérale, à la ségrégation par l’urbanisme, aux discriminations et violences policières. Cette faillite est celle de la politique de la ville et d’immigration.
Voilà le contenu de la politique de la ville et de la cohésion sociale la Charte de Leipzig. L’union Européenne a rempli le vide créé par la fin des CIAM à sa manière. Etudes marxistes a renoué avec le droit à la ville lancé en 68 par Lefèbvre dans EM N°98.

Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus rien eu d’intéressant point de vue urbanisme de gauche les cinquante dernière années. Il y a une série de développements intéressants qui très souvent se limitent à l’un ou l’autre aspect, à partir d’un refus (justifié) de devenir des constructeurs de systèmes comme il y en a eu pas mal dans les CIAM. Cela sera le sujet d’un prochain blog.

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