mercredi 30 novembre 2016

La sauvegarde du patrimoine industriel dans le Ruhr : le gazomètre d’Oberhausen


Comme dans les bassins industriels de Liège et Charleroi, la crise a laissé partout des friches industrielles dans le Ruhr. Comme chez nous, la première réaction a été de tout raser. Mais indépendamment du fait que cela représente une tâche gigantesque, on s’est rendu compte que ça ne servait à rien. Dans la tête des gens la région restera associée avec le charbon et l’industrie. Alors, certains se sont dits: faisons de ce handicap un atout ! La région veut même –à juste titre – faire reprendre ces témoins au Patrimoine mondial de l'UNESCO : «Le Ruhr a choisi d’'assurer l'intégrité visuelle du paysage industriel. Ces témoins de l'époque sont un héritage mondial! Dans l'espace, nous lisons le temps. Un patrimoine industriel, avec des bâtiments de charbonnages style Art Nouveau, de hauts fourneaux spectaculaires intégrés dans un parc paysager. Ceci est unique, ces témoins méritent une place dans Patrimoine mondial de l'UNESCO ».

Une Route de la culture industrielle

vue du haut du gasomètre
En 1989 le Ruhr lance un plan décennal visant à susciter de grands projets innovants sur les friches industrielles. On freine la consommation de sites vierges en renforçant les procédures imposant aux communes souhaitant urbaniser de nouveaux terrains de prouver qu’aucun autre foncier situé en zone déjà urbanisée n’est disponible. Devant les coûts de décontamination élevés, on décide d’attendre que la nature les assainit avec le temps. Le Fonds Foncier Régional (Grundstücksfond) de 1980 remet dans le circuit économique des terrains hors marché du fait des coûts de décontamination. Grâce à une dotation de +- 50 millions d’euros, le fonds intervient sur 160 terrains, soit une surface de 2 500 hectares. 40 % ont pu être revendus pour accueillir de nouvelles activités ou ont été reconvertis en espaces verts. En 1999 les sites remarquables sont inscrits dans une Route de la culture industrielle (Route der Industriekultur). Cette Route de 52 sites industriels est structurée autour de quatre grands sites emblématiques: Landschaftspark de Duisbourg Nord, les complexes miniers Zollern et Zollverein qui feront partie d’un autre blog, et le gazomètre d’Oberhausen que voici. Le Land initie en 2002 un projet de route européenne du patrimoine industriel avec la France, la Belgique, le Pologne et la Suède. En Belgique il y a  Beringen, Blegny-Mine, le musée de l'archéologie industrielle et du textile de Gand, l’écomusée du Bois-du-Luc et le bois du Cazier.

Le gazomètre d’Oberhausen

j’ai décrit le Parc Paysager de Duisburg nord. A quelques kilomètres de là, au bord  du canal Rhin-Herne,  se trouve le gazomètre d’Oberhausen situé sur un ancien site sidérurgique appartenant à Thyssen et reconverti dès 1996 en centre d’exposition dédié aux nouvelles technologies. J’ai fait le trajet en vélo, le long de la Grüne Strasse, une piste cyclable aménagée sur une voie de chemin de fer désaffectée.
Ce Gazomètre qui date de la fin des années 1920 est le plus grand d'Europe, avec ses 117,5 mètres de haut et ses 67,6 mètres de diamètre. Dans un premier temps, il servait à stocker de gaz de haut- fourneau, assez pauvre d'un point de vue énergétique. Ultérieurement, il a servi à stocker le gaz à coke d'Oberhausen. Quand la cokerie a cessé son activité, le  Gazomètre a été fermé aussi, en 1988. Le Gazomètre a été transformé en une salle d'exposition hors norme. Au point de titiller l’artiste Christo qui, à 77 ans,  y a installé en 2013 son „Big Air Package" son premier oeuvre d’art après la mort de sa femme.  
A l'intérieur, un ascenseur panoramique vitré permet de se rendre directement sous le toit du Gazomètre. Il est également possible de rejoindre le toit par l'extérieur, soit par un second ascenseur, soit à pied, grâce à l'escalier (592 marches !). Par temps clair on peut voir sur 35 kilomètres dans la ronde, des aciéries au bord du Rhin jusqu'au célèbre stade Arena auf Schalke.
J’y ai vu une expo spectaculaire, Wunder der Natur.
Le gros problème avec ces expos-phares est de maintenir le niveau. Le centre Pompidou de Metz – projet de reconversion comparable - a déjà le problème : après quelques années d’expositions de niveau mondial, l’argent commence à manquer et la fréquentation diminue…

CentrO, le plus grand shopping de l’Europe

Von MAN SE, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=7738644
Juste à côté on a ouvert en 1996 CentrO, le plus grand shopping de l’Europe, sur une friche de 143 hectares de la vénérable Gutehoffnungshütte de Thyssen. Ce St. Antony-Hütte de 1758 est le le berceau de la sidérurgie dans le Ruhr. Il ne reste qu’une exposition permanente dans la maison d’un de ses directeurs Gottlob Jacobi. Juste en face un parc d’archéologie industrielle.
On a eu le culot d’appeler cette vaste opération de régénération urbaine ‘Neue Mitte, une redynamisation du cœur de la ville par l’adjonction d’un nouveau centre’. Comme souvent, ce centre commercial va probablement tuer le vrai centre historique, comme il pourrait d’ailleurs encore phagocyter les centres urbains traditionnels des villes comme Essen ou Dortmund qui ont d’ailleurs protesté…
 Centr’O a ouvert en 1996 avec 220 magasins, une vingtaine de restaurants, plusieurs parcs d’attractions, un port de plaisance et une promenade de 400 mètres sur les rives du canal du Rhin à Herne.  Le site a une fréquentation annuelle de 23 millions de personnes et prétend avoir créé 10 000 emplois. Tout près il y a aussi le stade de foot de Schalke (1999).

Un festival national des jardins : une suite difficile à assumer

Le parc le long du canal Herne-Rhein est un vestige d’OLGA (Oberhausener Landesgartenschau), sur le site du charbonnage et de la cokerie d‘Osterfeld. Le problème avec ce genre d’évènements, c’est de maintenir des résultats dans la durée.
Le bâtiment-phare de ce festival des jardins était l'ancienne usine de mélanges de charbon, du charbonnage d’Osterfeld, la plus grande installation de son espèce d’Europe. La structure en acier et bois a un diamètre de 83m et une hauteur de 41m. Le bâtiment est classé depuis 1998. Après cet évènement le bâtiment a servi de centre de jardinage et a encore logé une exposition : ensuite il est devenu la cible de vandalisme. Les murs ont été barbouillés de graffitis, des fenêtres brisées et des crasses s’y sont accumulées.
La ville a finalement ‘sécurisé’ le monument en enlevant les escaliers extérieurs et en remplaçant les carreaux par des panneaux en acier. Triste symbole de cette dégradation : au milieu du bâtiment a poussé un châtaignier.
Le pont au-dessus du canal est le vestige le plus spectaculaire de cette expo.
Ce festival des jardins a aussi été l’occasion de restaurer le Kaisergarten. Ici on n’est plus dans les vestiges industriels : le jardin avait été aménagé en 1804 autour du château du comte Westerholt Gusenberg. Le château héberge aujourd’hui des expositions de la Ludwig Galerie. La Ludwig Sammlung a, comme le Guggenheim, des antennes un peu partout. Une manière de faire monter ses œuvres moins connues en valeur. Le collectionneur Ludwig traine aussi quelques casseroles de Raubkunst, des œuvres d’art spoliés aux juifs déportés...
Je n’ai visité le gazomètre, et je n’ai pas besoin de visiter un centre commercial. J’ai vu le parc de l’autre côté du canal. Les structures spectaculaires comme le pont piétonnier au-dessus du canal on quand même difficile de cacher la dégringolade assez rapide de ces infrastructures, une fois que l’évènement est passée et qu’il faut financer l’entretien journalier. Comme le montre notre châtaignier, un problème général avec cette stratégie de l’événementiel est qu’il faut avoir des projets   Aujourd’hui, environ 50 % des équipements culturels sont en déficit, il faudrait injecter chaque année 100 millions d’euros pour assurer le bon fonctionnement de ces structures culturelles qui se révèlent être davantage des gouffres financiers que des moteurs du développement économique des territoires. En 2010 le Ruhr a été capitale culturelle d’Europe avec 10,5 millions de visiteurs. L’activité touristique s’est même maintenue après l’événement avec une hausse en 2011 de 10 % des recettes touristiques, là où d’autres villes ont vu l’engouement retomber très fortement à la suite de l’année culturelle. Mais l’évènement a été un véritable gouffre financier pour les villes de la Ruhr. Les 62,5 millions d’euros ont été supportés en grande partie par les collectivités territoriales, et ont contribué à creuser un peu plus le déficit financier structurel de certaines communes de la Ruhr.
Landschaftspark Duisburg
pour la suite.
Dans mon prochain blog encore deux usines sidérurgiques : Rheinhausen (ou ce qu’il en reste) et Hattingen. Jusqu’ici donc le parc paysager me semble intéressant. Oberhausen m’inspire un sentiment plus que mitigé…
Voir aussi mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2016/11/le-parc-paysager-de-duisburg-nord-le.html

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