mercredi 23 novembre 2016

Le Parc Paysager de Duisburg nord : le Ruhr et son patrimoine industriel



Cet été 2016 Paula et moi avons descendu en vélo le Ruhr. Je voulais entre autres  voir ce que cette région en reconversion fait avec son patrimoine industriel. Nous avons à Liège une sidérurgie sous cocon. Le temps filant, un redémarrage devient de plus en plus difficile. Que faire : raser et dépolluer ? Garder un haut-fourneau comme témoin ?

Le Ruhr : une région en crise !

Le Ruhr a connu ses heures de gloire entre 1905 et 1957, quand la population passe de 3 millions à 6,2 millions. Mais dans les années 60 la région connait le déclin de l’industrie minière et sidérurgique. Des 140 charbonnages en 1957 il en restait 7 en 2000. La population descend à 5.3 millions.
Le taux de chômage dans la Région de la Ruhr est d'environ 12,1%, un des plus hauts taux des régions urbaines de l’Allemagne de l’Ouest, et 14,3 % à Duisburg, le cœur du Ruhr. La population de Liège, qui est aussi en crise, est restée stable autour de 200.000…
Cela n’empêche que Duisburg reste le plus grand producteur d’acier d’Europe. On y produit toujours 15 Millions de Tonnes d’acier brut avec 18.000 sidérurgistes: un habitant sur 10 y gagne encore sa vie.
Le Haut-fourneau Schwelgern 2 de ThyssenKrupp, surnommé le géant noir (Schwarzer Riese Schwelgern 2, mis à feu en 1993, est le plus grand en Europe. ArcelorMittal aussi a encore ArcelorMittal Ruhrort (avec un tout nouveau train à fil tout neuf lancé en 2012 , d’une capacité de 690.000 T, approvisionné par une aciérie qui ne produit que des produits longs.
Mais cela n’empêche qu’il y a des tas d’usines abandonnées. Et la Région a (entre autres) développé une stratégie étonnante, autour du concept ‘Route-Industriekultur’.
Une des initiatives les plus réussies est la création d’un parc sur une friche sidérurgique.

Parc Paysager de Duisburg nord 

Au nord de Duisburg, à Meiderich,  on a aménagé un Parc Paysager sur une usine sidérurgique fermée il y a 40 ans: on a rendu 200 hectares à la nature. En 1901, August Thyssen y avait fait construire cinq haut-fourneaux. L’usine est fermée en 1985. Entre 1990 et 1999, on y aménage un parc d’un nouveau type. Cela pourrait-il inspirer Seraing, qui - sans rougir - s’appele parfois ‘ville verte ‘? Attention : je ne suis pas seul à y penser : la Faculté des Sciences Appliquées de l’Université de Liège a déjà étudié en 2009 une stratégie paysagère.
Quand je dis ‘rendu à la nature’, je n’exagère pas. Une bonne partie des espaces avaient été envahies spontanément par la nature, après la fermeture. Avec parfois des espèces exotiques amenées dans les minerais. On a continué sur cette lancée : sur quatre sites fortement pollués, on laisse pousser une végétation tellement dense que l’accès est pratiquement impossible. Le raisonnement de base est que puisqu’il n’y a pas de demandes pour des terrains industriels et encore moins pour du logement (la Ruhr a perdu un million d’habitants!) on peut garder ces terrains ‘en réserve’ : le jour où la demande serait là on a toujours le temps de dépolluer, en fonction de l’utilisation. Evidemment, c’est bien joué par l’ancien propriétaire des terrains Thyssen qui s’en tire à bon compte. Il ne paye pas la dépollution. Thyssen s’en sort même auréolé de mécène avec un don de 25 millions d’euros. Une paille par rapport aux coûts de la dépollution. Tout compte fait, c’est ce qu’Umicore a fait d’une manière un peu plus hypocrite avec ses terrains pollués par le zinc à Angleur : ils l’ont déclaré réserve naturelle pour des plantes halophiles…
Par contre on a investi assez bien dans les zones moins polluées. Cinq terrains en friche dont le niveau de pollution était faible ont même été transformés en surface agricole et sylvicole. C’est un peu comme si on aurait resuscité la ferme Happart derrière Chertal… Tout compte fait, on a derrière Chertal aménagé la gravière Broch (voir mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2014/04/balade-au-hemlot-des-castors-des.html ).Il est vrai que la ferme "Ingenhammshof"  n’est pas une vraie  ferme, mais seulement un projet pédagogique. Mais les terrains ont retrouvé une utilisation agricole. Il faut le faire quand même…
Point central du parc est le haut-fourneau N°5, qui a connu sa dernière réfection  en 1973 et qui a été  arrêté en 1985. On monte jusqu’au gueulard, au sommet, à 70 mètres. De là on a un point de vue idéal sur ce parc paysager de 200 hectares, avec ses vingt-huit kilomètres de piste cyclable! J’ai visité dans la Moselle française, à Uckange, un autre haut-fourneau.  Voir mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2013/08/le-jardin-des-traces-et-le-haut.html
Uckange a créé le ‘jardin des sidérurgistes’. C’est joli. Mais le jardin est clôturé et coupé du site du HF U4. Dans un chapiteau provisoire on a aménagé une exposition. Pourquoi un chapiteau alors qu’on a rasé tant de bâtiments et qu’il y a à côté les grands bureaux sauvegardés qui ne fourmillent pas d’activité ? A Duisburg le haut-fourneau fait partie du concept et en est le cœur. On a laissé son frère jumeau, le HF4, tel quel : on ne l’a même pas désamianté. On l’a clôturé. Les trois premiers hauts-fourneaux du complexe avaient été démontés lorsque l’usine était encore en activité.
L’ancien gazomètre est aujourd’hui le plus grand bassin artificiel pour plongeurs d’Europe.
L’eau de pluie est récupérée et coule dans des conduites ouvertes et dans les anciennes canalisation pour déboucher dans un "Wasserpark" (Parc des Eaux).
D’en haut des remblais des voies ferrées (le "Bahnpark" ou Parc des voies ferrées), ou d’en haut d’un des deux hauts-fourneaux, on embrasse du regard le paysage. Et puis on a aménagé des jardins dans le parc (Gärten im Park) entre autres dans les silos de minerais. C’est vraiment des hortus conclusus, des chambres végétales.
Une autre partie de ces trémies est aménagé pour l’escalade. avec l’Alpenverein qui organise l’animation. La centrale électrique est aménagée en centre d’évènements.
L’artiste anglais Jonathan Park a réalisé l'installation lumière qu’il faut aller voir le weekend.
Ce qui est à mon avis le plus intéressant, même si ce n’est pas l’aspect le plus spectaculaire, c’est l’aménagements de "Vorparks" (avant-jardins) qui font la transition avec les zones d'habitation tout autour (des cités construits pour les sidérurgistes). Le "Vorpark Meiderich" est enclavé au milieu d'un bois de bouleaux ayant poussé spontanément. A l'ancienne gare de rangement Winterstrasse, les tracés de voies ferrées et les surfaces pavées ont été intégrées dans la structure du parc de quartier.
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Spectaculaire est aussi l’assainissement deseaux de l’Emscher, cette rivière qui traverse le site et qui au fil de l’industrialisation du Ruhr était devenu un cloaque. Attention : le travail n’est pas encore terminé. On le voit bien quand on compare un peu plus loin les eaux noirâtres de l’Emscher avec les eaux claires du canal pourtant fortement chargé du canal Herne-Rhein. Voici un beau reportage Photo du parc
http://freizeittipps-nrw.de/fotoimpressionen/landschaftspark-duisburg-nord-landi/

Une histoire (presque) centenaire

En 1903 le premier haut fourneau y avait été lancé par le père Thyssen. Le cinquième et dernier fourneau est mis à feu en 1907. Pendant la première guerre mondiale la production diminue d'un tiers suite au manque de minerais. Un haut-fourneau doit même être arrêté. Des prisonniers de guerre russes, polonais et belges remplacent les allemands mobilisés. En 1923 l’usine est mise à l’arrêt suite à l’occupation du Ruhr par la France et la Belgique.
En 1926 Auguste Thyssen et son fils Fritz fusionneront une série d’usines dans les "Vereinigte Stahlwerke AG". Auguste Thyssen décède juste avant, le 4 Avril 1926, au Schloss Landsberg.
Suite à la crise de 1930 l’usine est en difficulté, mais sous les nazis les 5 hauts fourneaux remontent en fonctionnement. Quand le parti de Hitler connait une  grande crise interne en hiver 1932, Fritz Thyssen convoque le 27 Janvier 1932 ses collègues sidérurgistes au Schloss Landsberg, et ils décident  une contribution de 3000 Reichsmarken à Hitler…
Schloss Landsberg
A partir de 1942 l’usine est plusieurs fois bombardée, et suite aux bombardements du 14 et 15 Octobre 1943  la production s'effondre totalement. Après la guerre, les usines sont placées sous le contrôle des Alliés. Les grands monopoles, dont les "Vereinigte Stahlwerke AG" sont dissous. Une partie des installations est démonté dans le cadre des indemnités de guerre. Meiderich n’est pas sur les listes de démantèlement parce que l’usine est trop démolie. Retournement complet de la situation avec le plan Marshall et la guerre froide. En 1956 le haut fourneau 1 peut être relancé, suivi en 1963 du haut fourneau 2.  On n’a plus besoin des petits HF 3 et 4 qui sont démontés en 1968 et 1970, année de réfection complète du HF 5. Début des années 1980, on arrête le HF 1 et 2. Le 5 est encore réfectionné en 1982 mais l’arrêt de toute l’usine tombe comme un couperet le  4 avril 1985…
Dans un blog suivant je décrirai le réseau de pistes cyclables autour du patrimoine industriel, avec la gazomètre d’Oberhausen et l’usine sidérurgique de Hattingen. 

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